Assemblée plénière Région Normandie – 19 février 2018 – Intervention de Caroline Amiel sur l’approbation du projet de Plan Régional de Prévention et de Gestion des Déchets
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Assemblée plénière Région Normandie – 19 février 2018

 

Délibération n° 7 : Approbation du projet de Plan Régional de Prévention et de Gestion des Déchets et son rapport environnemental

 

Intervention de Caroline AMIEL, conseillère régionale Normandie Écologie – EELV

 

Monsieur le Président, Monsieur le Vice-président,

Les déchets que nous produisons sont la plaie de nos civilisations, un des principaux marqueurs de notre empreinte écologique qui, je vous le rappelle, est en Europe deux fois supérieure à sa capacité (1,7 planète).

C’est pourquoi, la mise en place d’un plan régional de prévention et de gestion des déchets ambitieux et contraignant, loin d’être un exercice obligé, aurait pu être l’occasion d’améliorer fortement la situation environnementale de notre région et de diminuer les risques pour la santé des populations exposées aux trop nombreux polluants générés par nos activités agricoles et industrielles.

Or, si la méthode d’élaboration de ce plan et le travail de compilations de données réalisé sont à saluer, le résultat obtenu est bien décevant.

Certes, nous avons entre les mains un travail propre, correcte, réglementaire mais sans aucunes ambitions, sans aucuns objectifs, ni volonté politique, autres que ceux de se mettre en conformité avec la loi et d’être la première région à le faire… Il est frileux aussi : la tarification incitative y est évoquée mais pas vraiment  planifiée.

Ce constat est d’ailleurs partagé par les rédacteurs du rapport environnemental qui soulignent : « les efforts d’optimisation et de changement des pratiques exprimés dans les objectifs nationaux sont repris tels que dans le plan normand, à l’exception du gaspillage alimentaire pour lequel des marges de progrès supplémentaires sont permises ».

Je voudrais insister sur deux points qui nous ont parus particulièrement mal traités et présenter un manque d’ambition notoire : le traitement des déchets dangereux et celui des biodéchets.

Concernant les déchets dangereux, fort heureusement pour notre région les déchets nucléaires sont hors du périmètre des PRPGD, sans quoi nous aurions eu quelques soucis à nous faire… Cependant, les installations nucléaires ne produisent pas que des déchets radioactifs relevant de la filière spécifique, elles produisent aussi, comme beaucoup d’autres activités industrielles, des déchets à radioactivité naturelle renforcée, les RNR, qui eux entrent dans le périmètre des PRPGD. Or, rien sur ces RNR n’est prévu dans le rapport.

Nous avons à gérer en Seine-Maritime deux sites de stockage de terres polluées cumulant 60 millions de tonnes de phosphogypse – résidus pétroliers et autres hydrocarbures pour lesquelles les associations environnementales demandent depuis des années une surveillance et une gestion renforcées. Nous aurions aimé trouver dans le PRPGD des solutions claires aux problèmes de pollution des eaux que les lixiviats de telles infrastructures génèrent. Plutôt que d’apprendre que la Normandie est candidate à être la poubelle du Grand Paris en accueillant 4 millions de tonnes de déchets.

Or, le traitement des déchets dangereux est à peine évoqué (l’équivalent de 3 pages sur les 178 pages du document), on y lit que les données concernant la quantité de déchets dangereux à gérer et transporter d’ici à 2021 ou 2027 sont indisponibles, puis plus tard que les hypothèses retenues sont celles d’une stabilisation des volumes de stockage pour la période du plan.

Je m’étonne de ces mentions car, dans ce cas, comment expliquer que le centre de stockage d’Argence, Solicendre, filiale de Veolia, ait obtenu en 2015 une autorisation d’extension de 30 000 à 50 000 tonne/an jusqu’en 2027 si le dossier soumis à la préfecture ne faisait pas figurer des chiffres et projections très précises ?

Je m’interroge sur les nombreuses données non disponibles qui jalonnent ce PRPGD. Première hypothèse : la précipitation (ces données existent mais n’ont pas été recherchées). Deuxième hypothèse : les exploitants associés à la construction du PRPGD ont omis malencontreusement de dévoiler leurs chiffres. Bien entendu, si vous avez une autre explication, Monsieur le Président, je suis preneuse. Cela étant, le résultat est le même, le sujet n’est pas traité sérieusement bien que gravissime puisqu’ayant des conséquences sur notre environnement et la qualité de nos eaux douces.

J’imagine aussi la déception des riverains de Solicendre qui se sont vus imposer il y a 2 ans une prolongation de l’autorisation d’exploiter de 12 ans et qui aujourd’hui ne voit aucune mention d’un futur ISDD susceptible de prendre le relai de celui d’Argence dans les années futures. Le flou reste toujours la meilleure arme lorsque l’on ne veut pas affronter les problèmes me direz-vous.

D’autres déchets dangereux ont retenus mon attention. Ce sont ceux issus des sédiments de dragage. Je me suis livrée à un petit calcul arithmétique : on nous dit qu’environ 8 millions de m3 sont dragués dans les ports normands, que 5,27% sont remis à terre et que seulement 1% s’avèrent être contaminés notamment au tributyletain. J’en déduis que 95% de ces 8 millions de m3 sont clapés en mer… Ce qui représente quand même la bagatelle de 7,6 millions de m3 dont il est légitime de penser que 1% sont  aussi contaminés. Cela fait 760 000 m3 de sédiments contaminés au tributyletain toxique à la dose de 40 ng/gr de poids sec pour les organismes marins, bioaccumulable dans la chaîne alimentaire et responsable de perturbations endocriniennes qui se manifestent par la féminisation des espèces de poissons… Ces mêmes poissons que nous consommons.

Donc il me semble que le traitement global et la minimisation de certains phénomènes dans ce rapport pose un gros problème. Cet exemple particulier est d’ailleurs commenté en page 38 du rapport environnemental. Que propose le PRPGD ? Rien !

Le deuxième point que je souhaite commenter concerne les biodéchets.

Dans la synthèse, la valorisation des biodéchets est présentée comme un axe majeur du PRDGD. Nous sommes au moins d’accord sur ce point !

Malheureusement les solutions envisagées et retenues sont juste listées, sans hiérarchisation ni esprit critique, y compris celles qui ont fait la preuve de leur inefficacité, notamment le tri mécanique des biodéchets. C’est le tri à la source des biodéchets qui sera obligatoire en 2025, c’est la collecte séparée des biodéchets qui est cruciale pour réduire les OM en mélange et améliorer leur valorisation.

Toute notre énergie, nos innovations doivent se concentrer sur cette mise en place, nous ne sommes plus au temps des expérimentations mais bien dans le temps de l’action nécessaire. Le tri mécano biologique n’est pas une solution satisfaisante pour le retour au sol – contrairement à ce qu’on peut lire page 103 -, car la norme du compost français est mauvaise. Elle autorise des proportions importantes de plastique (2,7kg/m3), de verre et métaux (5kg/m3) – qui font que lors des contrôles, les taux sont souvent dépassés et le compost retourne alors en stockage.

Or, le stockage en mélange avec des matières organiques produit des lixiviats qui ont un impact négatif fort sur la qualité de l’eau.

Le rapport environnemental pointe cet impact négatif fort sur la qualité de l’eau et en fait  un enjeu prioritaire page 22.

Les combustibles solides de récupération (CSR) pour la « valorisation énergétique » qui sont produits à partir des ordures ménagères en mélange ne sont pas non plus une solution satisfaisante, car les matières organiques contiennent de l’eau qui réduisent l’efficacité de la combustion.

Il faut donc mettre en place sans attendre la collecte séparée des biodéchets, seul moyen d’obtenir une valorisation matière et une valorisation énergétique de qualité.

L’assemblée plénière sera suivie d’une commission permanente qui détaille l’appel à projet Région-Ademe pour « expérimenter » cette collecte séparée des biodéchets (CP 18-ENV-06-02-3). Nous souhaitons surtout un rapide passage de l’expérimentation à la réalisation grande échelle.

La lecture de ce rapport m’inspire une suggestion… Puisque tant d’entre vous, mes chers collègues, cumulez votre mandat de conseiller régional avec un mandat local de conseiller municipal, maire, présidents ou VP d’EPCI, qu’attendez-vous pour vous emparer des dispositifs que vous nous proposez de voter pour vos propres collectivités, (comme le suggère le plan lui-même page 125) ? Car en matière de démonstration, rien ne vaut l’exemple !

Car si j’en crois les bilans qui nous sont fournis en page 70, admettez que 12% des collectivités normandes qui ont mis en place des critères eco-responsables en matière de marché publique, 14% engagées dans un plan zéro phytosanitaire, 20% menant une action de communication sensibilisation et moins de 50% qui œuvrent à limiter l’utilisation du papier de l’encre et des fournitures de bureau c’est à pleurer !

Enfin l’incohérence de la situation est à son comble lorsque l’on trouve dans cette autre  délibération qui sera proposée au vote en commission permanente tout à l’heure, écrit noir sur blanc, que le Pôle des savoirs (établissement régional) a diminué son volume de déchets entre 2010 et 2017 mais en fait, en multipliant quasiment par 2 ces DOM et en divisant par 10 ces déchets recyclables.

Nous aurions aimé approuver ce plan, nous avons conscience de l’ampleur de la tâche, des points de vigilance que nous vous avions signalés et qui ont été pour certains pris en compte, mais au global l’exercice,  sans doute pour cause de précipitation, est une fois de plus tellement décevant. La Normandie rendra la première sa copie, mais c’est hélas, une copie bien médiocre !