Assemblée plénière Région Normandie – 19 février 2018 – Discours de politique générale de Laetitia Sanchez
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Assemblée plénière Région Normandie – 19 février 2018

 

Débat de politique générale

 

Intervention de Laetitia SANCHEZ, présidente et conseillère régionale Normandie Écologie – EELV

Dans votre communication, M. le Président, vous aimez vous déclarer « au service des Normands » – c’est la définition de notre rôle de collectivité régionale. Au service de tous les Normands, ce serait mieux.

Vous avez rappelé, par l’intermédiaire de Mme Cousin, la priorité que vous vouliez accorder à l’économie – au détriment de nos autres compétences.

Nous saluons les efforts quand vous prenez en compte nos alertes. Comme sur la véloroute « la Seine à vélo ». Disons que c’est dans l’air du temps et bon pour le tourisme.

Ce sera le cas, en partie, tout à l’heure avec le projet de plan déchets. Vous avez pris en compte nos alertes sur l’incinération et la priorité à apporter à la prévention des déchets, et à la valorisation matière sur la valorisation énergétique. Reste le manque d’ambition sur la collecte, essentielle, le tri à la source des biodéchets et des plastiques, qui sont pourtant à la base de toute valorisation matière de qualité. Mettre du plastique dans le compost, c’est ruiner le compostage. Recycler les plastiques, c’est 8300 litres de pétrole brut économisés par tonne de déchets. En Allemagne, cela a créé une nouvelle activité : les « pfandsammler » qui collectent les déchets alu et plastiques pour arrondir les fins de mois. Ils nettoient rues et talus.

Mais il y a d’autres domaines où nous sommes très inquiets. La Région est devenue Autorité Organisatrice unique des transports. Lourde responsabilité : favoriser le report modal vers les transports collectifs, et les mobilités alternatives à la route. Faciliter les transports pour tous les Normands.

Le constat et le diagnostic sur le dérèglement climatique, vous les faîtes comme nous.

Votre responsabilité de chef de file, c’est de mesurer toutes vos politiques à l’aune de leur impact sur le climat, pour limiter nos émissions de gaz à effets de serre, dans tous les domaines, de l’industrie aux transports, du chauffage à l’agriculture.

Le Premier Ministre a eu le courage de s’emparer enfin du dossier de l’aéroport de Notre-Dame des Landes. Nous prenons conscience qu’un autre modèle d’aménagement est possible, qui ménage environnement et climat, prenant en compte les alternatives, pour améliorer l’existant.

Or, c’est le contraire qui se produit en Normandie : nous supprimons les aides régionales existantes aux pistes cyclables et aux transports en commun, hors pôles d’intermodalité.

C’est le contraire qui se produit avec la mise en place de la nouvelle grille tarifaire des transports régionaux : le car passe au prix du train ; et sous couvert de prix ronds, le prix de certains billets régionaux a augmenté de plus de moitié.

Est-ce là l’attractivité du train ? Doublement de prix dès le 26ème km, et c’est le retour à la case voiture ! Le prix du TER Val-de-Reuil / Rouen : 8 euros, contre 4 euros pour le même trajet en intercités. Voulez-vous faire fuir les usagers du rail ?

Idem à Pont de l’Arche, où vous voulez supprimer la gare : c’est le doublement du temps de transport pour Rouen. 2 euros en voiture, 4 euros en car – pour l’instant – et 10 euros en train… Retour à la case voiture !

Pour le désenclavement de la vallée de l’Andelle : il existe une ligne de train, entre Pont de l’Arche et Etrepagny. La Région apporte des financements pour sa rénovation, avec l’entreprise sucrière Saint-Louis – qui a bien compris la plus-value apportée à sa marque au sein de la compétition européenne avec le train. Ne serait-il pas temps de ressortir l’étude réalisée en 2011 sur le potentiel de trafic voyageur de cette ligne, plutôt que de fermer les gares ?

Vous aidez le port de Rouen à remettre à niveau ses accès ferroviaires pour réduire le fret routier. Très bien. Mais dès qu’il s’agit des particuliers : c’est la route, seulement la route.

La zone urbaine de Rouen est saturée d’automobiles avec 1,5 million de déplacements internes par jour en véhicules particuliers. Pour plus de moitié pour des trajets entre 500 m et 4 km. Il n’y a pas de mystère à la congestion urbaine, mais les solutions sont à trouver ailleurs que par la route et l’automobile.

A Rouen, comme à Nantes, des milieux naturels et agricoles précieux et de plus en plus rares ont eu la chance d’être préservés. Un modèle préférable aux villes moches, avec leurs centres commerciaux en entrées de ville, leur centre historique rendu inaccessible, les zones pavillonnaires et ZAC qui mitent les poumons verts et ceintures agricoles. Ce sont pourtant des éponges pour les inondations, des puits de carbone pour le climat, et contre les effets des canicules. Ce sont des circuits alimentaires courts, des captages d’eau sanctuarisés, des paysages préservés, pour les loisirs et la biodiversité.

Une métropole tournée vers l’avenir, ce n’est pas qu’une métropole reliée au monde, c’est aussi celle qui est reliée aux villes moyennes voisines.

Construisons des projets de territoire durables et résilients : une ceinture agricole et naturelle ; une étoile ferroviaire autour de la métropole ; un maillage territorial pour tous les habitants, sur les réseaux capillaires de la Normandie, sur le train et les transports en commun, les bus à haut niveau de service ; les incitations au report modal, pour les particuliers et pour les marchandises ; les modes actifs pour les déplacements courts.

Rendez Evreux attractive pour les médecins grâce au confort d’un train qui la relie à la métropole, qui permette aux malades, aux personnes âgées de se rendre au CHU, et à leurs familles de les visiter. Pour permettre l’accès à l’emploi, aux universités et aux grandes écoles à tous les normands, vous n’avez que la voiture à proposer ?

Et pour les normands qui n’en n’ont pas ? C’est le car au prix du train ? Quant à la LNPN à horizon 2030 ou 2050, le rapport Spinetta, qui veut faire payer plus régions et usagers, devrait faire réfléchir. Mais pour les Normands d’aujourd’hui ?

L’étude Normandoscopie a révélé que les déplacements pendulaires sont marginaux – seulement 20% du total des déplacements.

Les horaires de déplacements « atypiques » sont la norme pour toutes nos activités, travail, loisirs, santé, études, culture…

Voilà pourquoi il faut proposer des solutions de mobilités alternatives qui offrent à la fois :

– l’amplitude horaire,

– le cadencement sans trou,

– des correspondances,

– des tarifs lisibles et accessibles pour tous les Normands, jeunes ou vieux, riches ou non.

Et déjà des trains, pas des fermetures de gares.

Et pour les déplacements courts, des infrastructures sécurisées pour les piétons et les cyclistes. L’enjeu, c’est la reconquête de l’espace public, la qualité de l’air et la santé publique.

L’Institut de santé global de Barcelone s’est penché sur 167 villes européennes : Elles pourraient éviter 10.000 morts prématurées par an, par ville, en augmentant la densité de leurs pistes cyclables. Le vélo s’imposerait comme un moyen de transport naturel et choisi pour 25 % des déplacements urbains, si les cyclistes avaient la garantie de pouvoir de se déplacer facilement à travers toute la ville. Outre l’avantage de maintenir les cyclistes en forme physique, on ferait baisser le nombre de voitures en circulation : moins d’accidents, moins de pollution, moins de congestion.

La France est menacée par Bruxelles d’une saisie de la Cour de justice européenne pour sa qualité de l’air, responsable de plus de 500.000 morts prématurées dans l’UE.

La Fédération française de cardiologie nous alerte : un enfant sur deux ne bouge pas assez en France.12 minutes d’activité physique par jour, quand il en faudrait une heure. On prépare une génération de cardiaques !

Prenons notre part de responsabilité. Pas en supprimant votre soutien aux pistes cyclables ; pas en prévoyant la suppression d’arrêts de train ; pas en augmentant les tarifs ; pas en refusant de reprendre les études sur la liaison ferrée Rouen-Evreux.

Où donc va l’argent ? Dans une nouvelle autoroute qui couperait en deux des villes et des villages, ruinant des paysages normands uniques, mettant en péril les captages d’eau potable de la métropole – avec l’alibi de détourner des trafics de transit à l’Est de la métropole, quand les dernières enquêtes de circulation montrent qu’ils sont hyper-marginaux : moins de 600 déplacements PL en transit à l’est, sur 2,4 millions de déplacements, dont 63% en voiture. C’est ce que révèlent les dernières enquêtes de trafic de l’aire urbaine de Rouen, que l’on attendait depuis plus de 20 ans. Ce sont 1,1 million de déplacements-conducteurs sur l’aire urbaine de Rouen. Une nouvelle autoroute éloignée et à péage n’y changera strictement rien. 1,1 million moins 600… ça fait 1,1 million : vous ne pensez pas honnêtement que cela réglera les problèmes de congestion de la métropole ? Avec la garantie en plus qu’il n’y aura pas de concurrence à l’autoroute par des transports collectifs. Et les CCI revendiquent sans ambages la mise en concession et en péage de la RN154 pour aller à Evreux. C’est une route captive, sans alternative : cette route ou rien.

Les formules magiques maquillent de plus en plus mal le fléchage de l’argent public vers les sociétés privées d’autoroutes et le BTP.

L’attractivité normande, c’est la facilité, la possibilité, le choix de sa mobilité – pas l’obligation, pas l’aliénation.

Sans alternative, les Normands sont condamnés à la voiture, quoi qu’il leur en coûte : carburant, assurances, péages, pollution, congestion urbaine, accidentologie.

Qu’avez-vous à proposer en échange si nous ne développons pas les transports pour tous, accessibles pour tous, pour relier ensemble tous les Normands ?

La Normandie n’est pas qu’une succursale du Grand Paris. Ne restons pas figés dans un 20ème siècle vieillissant et désabusé.

C’est maintenant qu’il faut réussir la mobilité normande, celle du futur, pour tous les Normands, d’une Normandie unifiée par son réseau de transport à l’aube de ce nouveau millénaire.