Assemblée plénière – lundi 15 février – Intervention de Laetitia Sanchez sur le projet de contournement est de Rouen
Partager

Assemblée plénière de la Région Normandie – Lundi 15 février 2021

Intervention de Laetitia Sanchez, Présidente du groupe Normandie Ecologie-EELV sur le contournement est de Rouen

Quand tous les arguments ont été épuisés, quand vous n’avez réussi à démontrer : ni l’utilité sociale d’une autoroute à péage, ni la viabilité de son modèle économique avec une croissance en berne, et pas seulement à cause du COVID, ni quelque preuve de l’efficacité à désengorger Rouen de son trafic essentiellement interne, il ne vous reste que la caricature politicienne ! Ce n’est pas au niveau d’un débat à 205 millions d’euros.

Contre les besoins des populations, exprimés dans les réunions de concertation de 2014 ou l’enquête publique de 2016, exprimés sur les ronds-points de votre Normandie en 2018, puis par les électeurs qui se sont prononcés clairement et en toute connaissance de cause sur ce sujet dans les urnes à Rouen ; contre les votes des collectivités locales, du département de l’Eure, de l’Agglomération Seine-Eure, puis de la métropole rouennaise la semaine dernière, vous continuez de vouloir imposer un projet autoroutier à péage dont ni les collectivités ni les habitants ne veulent plus. Imposer, à quelques semaines de l’élection.

Vous vous faites ainsi le promoteur, Monsieur le Président, d’intérêts économiques privés, défendus à grands renforts de publicité et de sondages sponsorisés dans la presse ces derniers jours pour tenter d’influencer le vote des élus de la métropole.

Agir en responsabilité, c’est se placer du côté de l’intérêt général. Les habitants du territoire ont besoin que vous preniez vos responsabilités pour les protéger du dérèglement climatique, en ciblant tous vos efforts pour diminuer les émissions de GES.

Au lieu de cela, vous soutenez un projet qui amènerait 50.000 tonnes de CO2 et pollutions supplémentaires pour la métropole et pour la planète où nous vivons tous.

Les habitants du territoire ont besoin de terres agricoles préservées, d’espaces naturels pour la vie sauvage, les loisirs de plein air auxquels nous aspirons tant, sans oublier le rôle de puits de carbone qu’ils jouent. On a besoin d’air, de terre, et d’eau. D’herbe, de fleurs et de légumes. Au lieu de cela, vous promouvez le développement des ZAC, Plaine de la Ronce ou autres ZAC à vocation logistique routière, et l’étalement urbain, qui consomme les terres et sature les infrastructures.

Nous avons pris conscience des efforts importants à engager et des moyens à mettre en œuvre pour enrayer et éviter la catastrophe climatique. Et vous-même vous êtes fait le chantre de la lutte contre le réchauffement, devant des centaines de lycéens. Mais la solution, c’est dans les petits gestes du quotidien, une solution individuelle.

Et maintenant, vous nous proposez de financer à grand renfort d’argent public une infrastructure autoroutière dont les objectifs économiques sont opaques, mais dont les impacts environnementaux, sur l’eau, l’air, les paysages, les terres arables, la nature et la biodiversité ont été bien évalués par le Conseil d’État. Un projet obsolète avant même d’exister : un nouvel axe autoroutier Calais Bayonne – après l’A28 en 2005, l’A150 en 2015, deux autoroutes contournées par les usagers sur leurs portions payantes du fait du péage.

Deux autoroutes supplémentaires n’apporteront aucune solution à la congestion de la métropole Rouennaise, congestion essentiellement causée par le trafic interne, et d’une part du trafic d’échange. Ces autoroutes, nous l’avons trop souvent répété, favoriseront l’étalement urbain, le développement de zones d’activités, le transfert des entreprises du centre vers le péri-urbain, en apportant une pollution supplémentaire, une artificialisation des meilleures terres arables et des forêts patrimoniales, avec une saignée dans le paysage unique de notre territoire.

Au moment où nous-mêmes, comme nos concitoyens aspirent à des circuits courts, des circuits de proximité, y compris pour le tourisme, lorsque se développent de nouvelles formes de gestion du travail, de mobilité, voire de non-mobilité avec le télétravail, lorsque le changement climatique n’est plus considéré comme une chimère, mais bien une réalité qu’aucun d’entre nous ne peut nier, doit-on poursuivre sur la voie du développement des échanges routiers internationaux ?

A ceux qui prétendent que Rouen serait la seule ville n’ayant pas de contournement, rappelons tout d’abord qu’il ne s’agit en rien d’une rocade ou d’un périphérique puisque par ailleurs il n’y a pas de complétude, mais d’autoroutes payantes situées de 5 à 10 kilomètres du cœur de l’agglomération, débouchant au Sud sur les accès les plus embouteillés de la métropole. Rappelons en outre que ni Grenoble, ni Tours, Orléans, Clermont-Ferrand, Avignon, Angers, Reims, Dijon, Perpignan, Nîmes, Toulon, Cannes, Le Havre, Dunkerque, La Rochelle, Brest, Mulhouse ou Bayonne n’ont de rocade.

Quant aux embouteillages, Rouen est à la 21ème place du classement 2020, loin derrière Paris, Marseille, Bordeaux, Grenoble, Nice, Lyon, Toulon, Toulouse, Strasbourg, Nantes, Montpellier, Clermont-Ferrand, Lille, Rennes et Brest. Et juste avant Le Havre. Il n’y a aucune corrélation entre la présence ou l’absence de contournement et la congestion interne.

Monsieur Philippe Duron, lors de l’audience du collectif contre l’autoroute en janvier 2018, disait regretter l’A88 au Sud de Caen, qui a amené de nouveaux trafics venant s’ajouter à la saturation des axes existants, et l’évitement de l’autoroute.

C’est ainsi qu’il a fait la connaissance du paradoxe de Braess : ajoutez de nouveaux axes, vous attirerez de nouveaux trafics. Le contraire est vrai également : supprimiez des voies, et le trafic s’évapore. Ce sont les modes doux qui reviennent. Comme après l’incendie du pont Mathilde.

Prétendre libérer des voies pour les mobilités douces et les transports collectifs, tout en gardant les voies routières – paradoxe – est donc un argument faux, voire fallacieux. Pour réduire un trafic, il faut lui laisser moins de place, ou l’interdire en ce qui concerne les poids lourds en transit comme après l’accident du Pont Mathilde en 2012 ou lors des travaux du tunnel de la Grand Mare en 2016. Un simple arrêté préfectoral suffit, ça ne coûte pas des millions, ni un milliard !

Quant à la solution d’un péage sur l’A28 au niveau du Pucheuil, évoquée par le Préfet de Région dans ses vœux à la presse le 27 janvier dernier, les habitants du Pays de Bray et des plateaux Nord et Est apprécieront ! Ne pouvant trier entre poids lourds et véhicules particuliers, tous devront s’acquitter du péage. Faudra-t-il alors subventionner les navetteurs ? Et revoilà la subvention d’équilibre des collectivités.

Ce projet d’autoroute n’est pas la bonne réponse. Son utilité socio-économique est contestée par l’existence du péage qui détournera les trafics. Les usagers, comme les entreprises, vont au moins cher. LA RD 6014, la RD 438 – qui longe l’A28 -, l’A150, l’A88, la N928, la RD313 en sont la preuve flagrante. Et pourtant les sociétés de logistique routière demandent des autoroutes dont ils dénoncent les tarifs et refusent l’obligation d’emprunter – c’est pour les autres – au lendemain de l’inauguration.

Ce projet répond aux intérêts des sociétés de travaux publics et d’autoroutes. Le lobbying intense exercé ces dernières semaines sur les élus métropolitains en phase avec la chambre de commerce et d’industrie, les mails et sms aux élus de la CCI en sont la preuve, une heure avant le vote.

Des alternatives efficaces et beaucoup moins onéreuses existent pourtant, en renforçant l’existant, les accès du Pont Flaubert, les accès au boulevard maritime pour les poids lourds, le développement du fret fluvial et ferroviaire, une étoile ferroviaire pour les voyageurs, pour relier Rouen à Gisors, Évreux, Yvetot, Saint-Martin ou Buchy. Voilà des solutions de désenclavement qui profiteront au quotidien des habitants de Normandie, et pas à un illusoire cabotage routier européen Nord-Sud.

Connectons la Seine à Paris, voire au canal Seine-Nord, ou sinon, laissons-nous envahir. Je préfère développer la compétitivité de nos ports par le fer et le fleuve plutôt que par une énième autoroute. Bray-Nogent est en cours, le Canal Seine Nord se construit, comme la route de la soie, allons-nous rester impuissants ? Il y a des infrastructures fluviales et ferroviaires à remettre en place, à moderniser, faisons-le. La chatière, 125 M€, est une chose, donnons des ailes à nos bateaux en offrant le gabarit nécessaire sur toute la longueur d’un fleuve potentiellement à très grand gabarit. Des écluses modernes, pas des Freyssinet. Pas non plus des aéroports vides pour nos édiles, ni des autoroutes désertes.

Voilà des investissements qui prépareront l’avenir, au lieu de l’hypothéquer, de réduire, de détruire l’espérance.

Mesdames et Messieurs les conseillers, j’en appelle avec solennité à votre responsabilité d’élus, qui est de préparer l’avenir, au nom de l’intérêt général, et non d’intérêts économiques particuliers. Il n’y n’aura aucun bénéfice pour le territoire, amputé de centaines d’hectares d’espaces naturels et agricoles, ni aucun bénéfice pour les habitants, qui subiront de nouvelles nuisances, en termes de pollution, de bruit et de destruction des biens communs : ressource en eau, qualité de l’air. Et aucun bénéfice enfin pour les touristes en quête d’authenticité, à la recherche des paysages normands qui seraient à jamais dégradés.

Mesdames et messieurs les élus, disons enfin stop aux projets imposés aux collectivités et aux citoyens qui les refusent. L’avenir commande.