Les expert.e.s du GIEC normand ont restitué leurs travaux sur le changement climatique lors de la dernière Assemblée plénière du Conseil régional, lundi 14 décembre à Caen. Les nombreuses projections formulées à cette occasion sont aussi précieuses que consternantes. Nos scientifiques tirent la sonnette d’alarme : si nous n’agissons pas, notre climat s’en trouvera bouleversé dans les décennies à venir, touchant ainsi notre littoral, notre eau, notre biodiversité, notre habitat ou notre santé.
Nous avons le devoir de nous engager pleinement et sans plus attendre dans la transition écologique. À ce titre, la Normandie a plus que jamais son rôle à jouer.
Retour sur les multiples enseignements des travaux du GIEC normand :
Projections sur le climat en Normandie à horizon 2071-2100 : le dérèglement climatique à toute vitesse
Les conclusions des travaux du GIEC normand sur l’évolution des températures à l’horizon 2071-2100 sont sans appel. Ainsi, les experts prévoient une hausse de la température moyenne annuelle à l’échelle de la Normandie de 1,0°C (entre 0,7°C et 1,2°C selon les endroits) dans le cas du scénario le plus optimiste, et de 3,5°C (entre 2,6°C et 4,1°C) pour ce qui est du scénario le plus pessimiste. Cela équivaudrait à une température moyenne annuelle de 13,7°C à l’échelle de la région. Pour rappel, le GIEC estime que nous nous orientons vers les projections les plus pessimistes, au vu de l’évolution actuelle des températures.
Sur la base des prévisions du GIEC normand, nous pourrions avoir à Caen ou à Evreux une température moyenne annuelle vers la fin du siècle comparable à celle de Marseille actuellement.
Des canicules tout sauf exceptionnelles
Nous pourrions observer à Caen plus de 18 jours de forte chaleur par an à horizon 2071-2100 (température au-dessus des 30°C) pour le scénario le plus pessimiste (contre 2,6 pour la période 1976-2005). Ce nombre monte à plus de 26 pour Rouen (contre 3,7 jours de forte chaleur par an entre 1976 et 2005).
Pour les villes à l’intérieur des terres, cette hausse serait plus violente : de 5,5 jours de forte chaleur à Alençon entre 1976 et 2005 contre 36,2 à la fin du siècle pour la projection la plus pessimiste.
Ainsi, il est question d’une augmentation de 30 à 40 jours de forte chaleur dans les terres.
Le nombre de jours de froid (avec une température inférieure ou égale à 0°C) pourrait quant à lui chuter, passant de 34,6 jours à l’échelle de la Normandie pour la période 1976-2005 à 11,5 à la fin du siècle.
Des précipitations globalement moindres mais plus extrêmes
Un changement majeur dans le cas d’une réalisation du scénario pessimiste toucherait aux précipitations annuelles et saisonnières. La Normandie pourrait voir son cumul pluviométrique annuel baisser de 84 millimètres, passant de 859 à 775 mm, soit une diminution de 10%. Le centre et le sud-Manche seraient les plus touchés, avec une baisse de près de 15% de ses précipitations annuelles.
Cette baisse de la pluviométrie serait particulièrement prononcée durant les étés, avec une diminution moyenne de près de 27% à l’échelle de la Normandie. Les experts du GIEC normand prévoient ainsi une augmentation par endroits d’une semaine de sécheresse atmosphérique.
Il serait question en revanche d’une hausse potentielle de la pluviométrie hivernale et des précipitations intenses (cumul supérieur à 20 mm par jour). Les tempêtes seraient également plus intenses même si leur fréquence pourrait ne pas évoluer. Elles pourraient finir par pénétrer plus facilement les terres, du fait notamment de la montée des eaux dont il est question ci-dessous.
Dérèglement des précipitations, sécheresse : un cocktail explosif pour nos eaux et nos sols
C’est tout simplement notre eau potable qui est en jeu
Avec l’augmentation des températures, de l’évaporation mais également la diminution des précipitations annuelles globales, nous pourrions subir une baisse de 29% du débit moyen annuel des cours d’eau du bassin de la Seine, dont la température pourrait augmenter de 2°C.
Aussi, la baisse de la recharge moyenne annuelle des nappes est estimée jusqu’à 30%, un rabattement du niveau de ces dernières pouvant aller jusqu’à 10 mètres dans tout l’intérieur de la Seine-Maritime, et ce même pour un scénario plus optimiste du GIEC.
Le changement climatique n’impacterait pas seulement la ressource en eau, loin de là. Une hausse des précipitations intenses (notamment en hiver) entrainerait en effet, de par le ruissellement et l’érosion des sols qu’elle causerait, une augmentation de la turbidité des cours d’eau, avec de lourdes conséquences sur les zones karstiques.
En parallèle, la baisse des précipitations globales et l’augmentation des épisodes de sécheresse – plus intenses par ailleurs – aboutirait à une augmentation des périodes d’étiage sévère, ce qui engendrerait à son tour un manque d’oxygénation de l’eau, favorisant ainsi sa pollution. Il y a de quoi s’inquiéter quand on sait que les substances candidates à la pollution des eaux ne manquent pas…
Montée du niveau de la mer, immersions, coulées de boue : ce bouleversement qui nous menace
1,8 mètre. C’est la projection de la montée du niveau de la mer en Normandie à la fin du siècle sur la base du scénario pessimiste du GIEC vers lequel, encore une fois, nous nous orientons. Un réchauffement « contenu » à 2°C entrainerait quant à lui une montée de 0,86 mètre. C’est donc une hausse du niveau de la mer très conséquente qui se profile, avec des implications énormes non seulement pour notre littoral, mais également dans nos terres :
Aussi, l’augmentation des précipitations intenses, couplée avec la montée du niveau de la mer provoquerait une hausse des inondations, avec plus de crues de rivières, mais également plus de coulées de boues.
Une augmentation des inondations, qui serait par ailleurs facilitée par un blocage de l’écoulement des cours d’eau du fait de la montée du niveau de la mer, entrainerait un développement conséquent des zones immergées, même hors littoral. Le cas de la boucle de la Seine de Rouen sur laquelle s’est pour l’instant focalisée le groupe d’experts est on ne peut plus parlant : cette immersion concernerait de nombreuses zones sensibles dans la métropole rouennaise, principalement plusieurs sites « Seveso seuil haut ». Au-delà de nos sols, notre habitat, c’est également notre sécurité qui est menacée.
S’il n’est pas encore possible pour les experts d’établir l’impact du changement climatique sur l’érosion côtière, la hausse prévue du niveau de la mer, même dans un scénario plus favorable, constitue un signal alarmant pour notre trait de côte, et ce alors qu’il est estimé que 2/3 du littoral normand est actuellement en érosion.
Biodiversité, agriculture et pêche : des premiers signes peu réjouissants
Bien que les travaux doivent se poursuivre afin de cartographier l’évolution de la présence d’espèces, l’état des lieux actuel dressé à ce sujet par le GIEC normand reste significatif.
Ainsi, notre biodiversité change : avec le réchauffement climatique, les « faunes froides » disparaissent progressivement et laissent place aux « faunes chaudes ». On constate par la même occasion une « tropicalisation » des pêches normandes, pêches par ailleurs déjà touchées par de nombreuses problématiques : acidification de la mer, salinité des eaux, ressources en phytoplancton…
Il est somme toute difficile d’attribuer précisément l’évolution de la biodiversité continentale et marine au changement climatique, d’autres activités humaines étant évidemment à l’oeuvre.
Pour autant, l’agriculture sera lourdement impactée par le changement climatique et la dégradation des sols qui lui serait directement liée : sécheresses, inondations, coulées de boues… Ces dernières appelleraient impérativement à une adaptation de nos terres agricoles pour contenir ces catastrophes et poursuivre les cultures.
Le changement climatique nuit évidemment à notre santé
Si le changement climatique menace notre habitat, notre mode de vie, il nuit à notre santé, également de manière directe. Le volet des travaux du GIEC normand à ce sujet, basé sur l’évolution de notre climat envisagée dans cette étude, dresse un tableau préoccupant.
Ainsi, des canicules plus fréquentes et plus intenses entraineront une hausse des maladies cutanées et oculaires, en plus de mettre en danger immédiat les personnes les plus vulnérables. La pollution atmosphérique, accentuée par les périodes de chaleur, sera toujours plus responsable de pathologies respiratoires et cardio-vasculaires. La dégradation de la qualité de l’eau favorisera la prolifération de bactéries et virus. L’arrivée potentielle de nouveaux moustiques devrait être source de maladies infectieuses. Enfin, une production accrue de pollens, causée par la chaleur, la pollution, les épisodes météorologiques extrêmes et la modification de la biodiversité, facilitera le développement des allergies.
C’est donc un portrait très lugubre de notre fin de siècle qui est brossé, si l’accord de Paris n’est pas respecté. Il ne faut pas penser pour autant que tout se joue au niveau mondial. Notre Région peut et doit combattre le changement climatique ainsi que ses effets.
À ce titre, les experts du GIEC normand ont formulé de nombreuses recommandations :
- Un changement de braquet en matière d’aménagement du territoire est essentiel : lutter contre la bétonnisation de nos côtes, mettre en place une politique cohérente de préservation du littoral, prendre soin de notre bocage qui atténue l’effet du vent, l’assèchement de nos sols ;
- Une agriculture qui réduit ses émissions de gaz à effet de serre et qui s’engage dans le stockage de carbone notamment via les pâturages, les cultures intermédiaires ;
- La mise en place d’un programme de restauration de l’écosystème ;
- Lutter contre les émissions de gaz à effet de serre et les îlots de chaleur, notamment en ville.
Ces travaux du GIEC normand sont une ressource importante. La Région Normandie doit maintenant prendre ses responsabilités. L’urgence climatique doit être déclarée, comme l’ont exigé les militant.e.s d’Extinction Rébellion durant la présentation de ces travaux. Il faut que voie enfin le jour la règle d’or climatique pour le budget, que nous appelons régulièrement de nos voeux : nos investissements doivent être conditionnés à des bénéfices en matière environnementale mais également sociale.
La Région, désignée cheffe de file pour le climat par la loi NOTRe, doit contribuer à une baisse importante des émissions de gaz à effet de serre. C’est tout le contraire auquel nous avons assisté lors du mandat d’Hervé Morin : plus de 300 millions d’euros de crédits d’investissement alloués à l’extension du réseau routier et autoroutier, soutien régulier aux aéroports de Caen et Deauville (!) et dégradation du service ferroviaire, pour ne citer que la politique transports.
En cette période de voeux de nouvelle année, souhaitons que ces travaux du GIEC normand ne soient pas une opération de communication pour le Président de région sortant. Souhaitons qu’en 2021, la Normandie emprunte une fois pour toutes le chemin de la transition écologique.
Vous pouvez consulter la présentation des travaux du GIEC normand en cinq diaporamas ci-dessous :
Partie 1
Partie 2
Partie 3
Partie 4
Partie 5