Assemblée plénière de la Région Normandie – Lundi 22 juin 2020
Discours de politique générale
Intervention de Laëtitia Sanchez, Présidente du groupe Normandie Ecologie-EELV
Monsieur le Président, mes chers collègues,
Nous voulons aujourd’hui lancer un appel.
Nous vivons à l’échelle mondiale une crise sans précédent.
Nos économies, nos proches, nos foyers ont été ébranlés, le bilan est lourd. Des héros du quotidien nous ont sauvés, nourris, ont ramassé nos déchets. Des initiatives citoyennes ont organisé de nouvelles solidarités. Tirons-en les leçons afin de prendre aujourd’hui les bonnes décisions pour les temps qui viennent.
Ce seront aussi des solutions aux crises sociales que traversent nos sociétés inégalitaires.
Face aux injustices de plus en plus violentes que nous subissons, face aux destructions et aux désordres de tous ordres que notre modèle dit « de développement » nous inflige, la réponse est à la fois écologiste, solidaire et démocratique. Rien ne sera résolu et aucun avenir désirable n’est possible sans embrasser dans un même mouvement ces trois enjeux fondamentaux.
Pour une Normandie résiliente, solidaire et vivante face aux crises.Orientons dès maintenant les aides publiques vers les enjeux sociaux et climatiques.
Renforçons les relocalisations et les coopérations au niveau régional et local.
Pour cela nous appelons à :
– conditionnaliser les aides publiques aux enjeux d’écologie et de solidarité,
– mener une véritable coopération dans les territoires.
Tous les champs d’activités sont concernés. Toutes les aides publiques doivent se faire au service du bien commun et de l’intérêt général.
Pour une Normandie qui protège et prépare l’avenir : faisons du déconfinement l’occasion d’une réelle transition écologique par des modifications budgétaires tactiques.
Les urgences sont plus que jamais de protéger notre système de santé ; de nous assurer un environnement sain et un climat vivable ; de rendre notre modèle économique et agricole plus durables ; de repenser nos déplacements.
Les aides financières publiques doivent être utilisées à bon escient, elles ne peuvent continuer à maintenir sous perfusion un système usé et à bout de souffle. Afin de devenir l’outil d’une transition efficace, elles devront répondre à des conditionnalités sociales et environnementales. Les normes sanitaires et environnementales doivent enfin être un bouclier protecteur respecté et non remis en cause constamment par des logiques financières et des intérêts économiques.
Nous constatons que la tentation est grande de sauver « quoi qu’il en coute » le modèle économique dominant pourtant responsable de la situation. Les centaines de milliards d’euros, hier indisponibles pour financer la transition écologique, les services publics ou les plus fragiles, déferlent désormais pour arroser le sable d’une économie libérale et financiarisée.
Nous refusons cette fatalité. Nous ne voulons plus d’un monde dominé par l’argent aveugle qui cautionne une prédation généralisée. Il est inconséquent et irresponsable de réinjecter sans conditions des milliards d’euros d’argent public en soutien aux industries polluantes et à l’export, comme le propose le ministre de l’économie Bruno Lemaire.
Il faut accompagner dès à présent les salariés et les entrepreneurs vers la conversion, afin de produire des moyens plus vertueux de se nourrir, de se déplacer, de se vêtir, de se distraire (pour une culture et un tourisme eux aussi relocalisés et reconnectés avec les territoires et la nature).
L’économie sociale et solidaire doit être soutenue, car elle invente d’ores et déjà ces nouveaux modèles de production vertueux et coopératifs. La relocalisation de certaines activités industrielles utiles, comme la production textile, importante dans la tradition normande, pour ne citer qu’elle, ne doit pas se faire au prix de la consommation de nouvelles surfaces agricoles et naturelles. Réhabilitons les nombreuses friches existantes. Renonçons à certaines activités du passé pour promouvoir de nouvelles activités utiles. Moins de logistique internationale, et plus de lien !
Un modèle agricole viable et respectueux de l’environnement doit également être soutenu par les pouvoirs publics. Les projets alimentaires territoriaux nous apporteront plus d’autonomie. La souveraineté alimentaire doit passer avant l’exportation de notre production. Cette crise sanitaire a illustré le souhait fort d’un retour aux circuits courts : nous devons allier le soutien à une production et à une consommation locales. La mise en place d’une Région stratège sur cet enjeu capital doit permettre au territoire de nourrir son terroir. Nous regrettons d’ailleurs, la non-reconduction de l’aide de la Région à la sortie du glyphosate. Les fermes ayant contractualisé l’année dernière vont pouvoir poursuivre mais c’est tout, plus de nouveaux projets. C’est un très mauvais signal qui est envoyé et qui ne vise qu’à empêcher la transition du monde agricole vers un modèle bio et raisonné.
S’agissant des mobilités, le déconfinement est une période compliquée où le choix du repli sur la voiture individuelle semble apparaître comme garant d’une relative protection sanitaire. La sortie de cette crise ne doit pas avoir pour conséquence l’augmentation de la congestion des espaces publics, de la pollution et des émissions de gaz à effet de serre.
La décongestion des espaces publics reste au contraire un enjeu majeur, pour les piétons et les cyclistes qui voudront limiter leur usage des transports collectifs. Il est du rôle des pouvoirs publics de mettre en place un réel urbanisme tactique, afin de ne pas laisser les habitants livrés à l’« autosolisme » comme unique geste barrière, avec ses effets délétères sur l’espace public, sa congestion et la pollution.
Tout cela ne peut se faire en un claquement de doigts, il faut agir, prendre de nouvelles orientations : il est temps de faire preuve de courage politique. Cette crise nous oblige à sortir des carcans du passé : nous réclamons dès à présent un fléchage différent du budget régional 2020 en ce sens (ou le vote de modifications budgétaires).
Nous devons par exemple réorienter les budgets dédiés aux projets routiers vers le renforcement des transports collectifs et le développement de l’urbanisme tactique.
L’argent public a vocation à être investi dans des systèmes protecteurs des biens publics, en alliant transparence et bilans afin de donner de la lisibilité et des perspectives.
De nouveaux outils et modes de pensée doivent voir le jour, pour permettre à la Normandie de se protéger des prochaines crises à venir.
L’élargissement du principe de précaution doit être le socle de cette nouvelle société en transition : il est de notre rôle d’accompagner la mise en place d’une société plus robuste et résiliente, seule réponse efficace aux épreuves qui nous attendent. La place de la nature y jouera tout son rôle, en ville comme à la campagne, avec un rôle préventif, pour la santé, le climat, la biodiversité.
Enfin, l’heure n’est pas au repli sur soi, à la fermeture des frontières et à l’autoritarisme. Ces réflexes de peur et de fermeture ne nous protégeront pas. Nous sommes embarqués sur une même planète, et ce qui touche mon voisin me touchera aussi. Il est important pour cela de préserver les solidarités et les coopérations, locales, régionales, nationales, et internationales.
Relocalisation et Coopération. Ce sont les deux conditions qui permettront de bâtir « le monde d’après » grâce à un modèle plus robuste, plus convivial et plus solidaire.
Avant d’exploser en vol, atterrissons.