Assemblée plénière de la Région Normandie – Lundi 15 février 2021
Intervention de Claude Taleb, Conseiller régional Normandie Ecologie-EELV sur le contournement est de Rouen
Tristesse, colère, inquiétude, confiance en l’avenir sont les 4 mots et sentiments contradictoires qui m’inspirent ce débat au moment où nous sommes.
Tristesse d’abord : partout en France, l’actualité de la fin de semaine et du week-end a été dominée par les débats animés relatifs à l’ambition du projet de loi Climat & Résilience qui est sensée mettre en actes les délibérations de la Convention citoyenne pour le climat…
Partout en France, sauf en Normandie, où nous en sommes encore à nous écharper sur un projet d’aménagement destiné à faire la part belle aux circulations poids lourds et à la logistique carbonée.
Notre histoire économique et industrielle nous positionne comme un territoire pénalisé par ses fonctions logistiques.
Il est triste que vous n’en déduisiez l’urgence d’en tirer toutes les conclusions opérationnelles du GIEC régional que vous avez eu la bonne idée de constituer. Et que vous preniez ainsi le risque de réduire à néant les actions concrètes des communes, des intercommunalités, de tous les élus, qui ont décidé de prendre le taureau du changement du climat par les cornes.
La colère. Je n’aime pas ce mot, je n’en trouve pas d’autre devant le spectacle de la communication que vous mettez en œuvre depuis jeudi avec le Président de la Seine-Maritime.
Chacun sait que le département, tous les départements, éprouvent les plus grandes difficultés financières pour assumer leurs missions de solidarité : le RSA, l’aide sociale à l’enfance, l’hébergement d’urgence, et même l’entretien des routes départementales.
La Région, aujourd’hui comme hier, n’est, quant à elle, pas chargée de décider et financer la construction d’autoroutes, L’Etat en est le seul décideur et maître d’ouvrage.
Prétendre le contraire, c’est tromper les Normands.
Les Normands, tous les Normands, doivent savoir que cette autoroute leur couterait à la construction entre 20 et 23 millions d’euros le kilomètre, soit 3 ou 4 fois le prix moyen du kilomètre d’autoroute en France. C’est même plus cher que le prix moyen du kilomètre de TGV, à 16 millions d’euros, tandis que la rénovation de lignes ferroviaires secondaires coute, au kilomètre, dix fois moins cher que l’A28-A13!
Vous nous disiez il y a peu – je vous cite – que « les régions se trouveraient dans des situations financières absolument dramatiques en 2021 ». Vous nous proposez maintenant contre toute logique d’engager ce montant extravagant de 205 millions d’euros ?
205 millions, c’est par exemple 4 ou 5 lycées neufs, c’est 15 millions de plus que le coût de construction d’un centre hospitalier moderne avec 1200 lits, tel celui de Melun ouvert en 2018. 205 millions qui seront autant de moyens en moins pour les projets havrais, dieppois, caennais ou manchots.
Faire ainsi croire que l’Etat, les collectivités de tout niveau, peuvent se superposer, faire double ou triple emploi, se substituer les unes aux autres, est un très mauvais service rendu à la vie publique, je tenais à vous le dire M. le Président.
L’inquiétude. L’inquiétude pour l’avenir est le sentiment qui me vient, à l’écoute de propos entendus ici ou là depuis ce fameux vote métropolitain. Ainsi lorsque je t’ai entendu, cher Pascal Houbron, mardi matin sur les ondes de France Bleu, souhaiter sans ambages inaugurer une version nouvelle du dialogue Région/territoires qu’on pourrait breveter et nommer ainsi : la contractualisation punitive.
Les contrats dits « de territoires » reposaient jusqu’alors sur un dialogue équitable entre la région, les départements, les intercommunalités, dialogue qui permettait d’identifier les projets d’intérêt commun ou partagé et d’en définir l’accompagnement.
Ils consisteraient désormais si on adoptait ce raisonnement à menacer puis à punir et à pénaliser financièrement, les 500 000 habitants d’un territoire au motif que la décision prise indispose.
Les contrats deviendraient des armes de représailles entre les mains de la collectivité qui est en principe chargée d’animer le développement équitable des territoires locaux.
Que dirais-tu, cher Pascal, si demain, le département privait la commune de Bihorel d’aides de droit commun au motif qu’elle a mal voté tel ou tel projet ?
Je ne suis pas en campagne, je ne siègerai pas dans la prochaine assemblée.
Je vous souhaite, je nous souhaite, chers collègues, que cette vision du « règlement de compte à OK Corral » ne devienne pas à l’avenir un principe de fonctionnement de la collectivité régionale.
La confiance en l’avenir, pour conclure.
L’avenir dira si je suis un incorrigible optimiste. Je veux croire que l’Etat ne suivra pas la folle entreprise qui lui est proposée et qu’il n’accompagnera pas cette mini, et bien sûr pas aussi méchante, « attaque du capitole » de la droite métropolitaine.
Cela reviendrait en effet à s’asseoir sur l’avis de la principale collectivité locale concernée tout en déséquilibrant les interventions financières départementale, et régionale, au détriment de tous les autres territoires normands.
Et je suis convaincu que les élus de tous ces territoires éloignés, spectateurs de ces journées, sauront vous ramener à la raison, et à l’essentiel : l’urgente nécessité de la mobilisation collective et solidaire pour le climat et pour la prévention des épidémies dont nul ne peut douter qu’elles ont directement à voir avec l’exploitation débridée des ressources de notre planète.
Et qu’ils accorderont davantage de considération au développement des mobilités dé-carbonées qui est le fil rouge du projet conjoint pour la vallée de Seine des maires du Havre, Rouen et Paris, qu’à ces 41 kilomètres d’autoroutes hors de prix et destructrices de l’environnement.
Et comme vous le savez : il ne sera alors pas difficile de redéployer les hectares stérilisés et les centaines de millions appelés, pour enfin conduire les nombreux chantiers des mobilités et de la transition énergétique qui attendent des investissements.