Assemblée plénière Région Normandie – 26 juin 2017 – Intervention de Laëtitia Sanchez sur les parcs d’activités et les bâtiments locatifs à destination des entreprises et soutien régional à l’émergence et à la création de tiers-lieux
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Assemblée plénière Région Normandie – 26 juin 2017

 

Délibération n°  6 : Évolution des dispositifs portant sur les parcs d’activités et les bâtiments locatifs à destination des entreprises et soutien régional à l’émergence et à la création de tiers-lieux


Intervention de Laëtitia SANCHEZ, présidente et conseillère régionale Normandie Écologie – EELV

 

Les villes meurent. Nous les tuons.

L’agonie, c’est la vacance commerciale, les magasins qui plient boutique en centre-ville, les cœurs de villes qui se transforment en centres-villes fantômes.

L’arme du crime ? Les zones d’activités commerciales en périphérie des villes.

Pourtant, les élus souhaitent souvent implanter ces ZAC dans la périphérie de leur agglomération : arguant d’une prétendue complémentarité des activités commerciales en périphérie, accessibles uniquement en voiture, et d’une volonté de créer de l’emploi.

Mais là où l’on crée quelques centaines d’emplois, on compte encore plus de destructions d’emplois dans le centre-ville, laissant des commerçants exsangues ou ruinés. Combien de tragédies derrière ces grilles fermées, avec leur panneaux « à louer », ou « à vendre », pour toutes celles et ceux qui ont servi leur clientèle durant des années, et qui ne trouvent personne à qui transmettre leur affaire ?

La raison ? C’est l’offre pléthorique de la grande distribution : on fait ses courses de consommation, on achète la viande et le poisson, les articles de bricolage et de loisirs, la pharmacie, les restaurants aux goûts standardisés, sucrés et salés, la presse et la librairie, l’habillement, le bar, de la patinoire, du bowling, du théâtre, du cinéma, et même les services publics dorénavant. Tout ce qu’offrait la ville se trouve désormais déplacé à portée de voiture.

L’activité n’est pas complémentaire du commerce de proximité : elle concurrence tous les commerces et tous les produits.

Regardez le secteur de la boulangerie artisanale, emblématique de la France : depuis 4 ans, 1200 boulangeries artisanales ferment chaque année, remplacées par la boulangerie industrielle assurée par la grande distribution, les terminaux de cuisson, ou les chaînes spécialisées (Paul, Marie Blachère, la Mie Câline et autres Kayser, Boulangerie Louise, etc). Réclamant pour eux l’ouverture 7j/7 qui est interdite aux artisans boulangers : on y accède en voiture dans d’anciennes stations-services, dans les complexes de grande distribution, aux échangeurs autoroutiers, auxquels il est possible d’accéder par la route. Et maintenant, elles rachètent les pas de porte des boulangeries qui ont fermé boutique en ville, captant la clientèle qui avait ses habitudes.

Et vous, préférez-vous le pain industriel ou le pain artisanal ? Ce secteur meurt dans l’indifférence.

Il reste une poissonnerie dans l’agglomération Seine-Eure. Une poissonnerie à Évreux. Combien de temps tiendra-t-elle lorsque que Carrefour Grand Évreux sera ouvert aux consommateurs ? Je dis consommateurs, car ce n’est pas une zone publique, comme l’est la ville.

Procos, la fédération du commerce spécialisé qui rassemble la plupart des enseignes, de McDonald’s à Jardiland, en passant par C&A, Sephora, La Mie Câline, Yves Rocher, plus de 130 enseignes, explique les raisons du déclin du commerce en ville : « Depuis les années 2000 en France, le parc de surfaces commerciales croit en effet à un rythme plus rapide que celui de la consommation. Ce parc a progressé de 3 % par an, alors que dans le même temps, la consommation n’a progressé que de 1,5 % par an ».

Procos livre un palmarès de la vacance commerciale dans les villes : Bonne nouvelle, certaines villes normandes résistent bien à la vacance.

C’est le cas de la métropole Rouennaise, qui comme toutes les métropoles, résiste du fait de la densité de population, avec moins de 5% de vacance commerciale. Rappelons qu’en dessous de 5%, les villes restent dynamiques, mais qu’entre 5% et 10%, on ne peut plus parler de causes conjoncturelles, mais structurelles. Au-dessus de 10%, la situation est critique.

L’an dernier, Saint-Lô a été lauréat. C’est une petite ville de 25 000 habitants sur la Vire, dans la Manche. En plein cœur du bocage, c’est une ville dynamique et animée qui compte encore 215 commerces et enseignes. Comment Procos explique-t-elle ce dynamisme ?

Par le poids de l’administration d’abord : c’est la Préfecture de la Manche. Saint-Lô dispose d’un hôpital. La ville a perdu Moulinex, mais héberge désormais Solex qui y fabrique ses vélos électriques. La ville met d’ailleurs ces vélos solex électriques en location pour les habitants. Mais la raison majeure de ce dynamisme, c’est que la clientèle est « captive ». Saint-Lô se situe à 50 minutes en voiture des grands pôles shopping, à Caen.

Les villes touristiques échappent au déclin. C’est le cas de Bayeux, c’est le cas aussi de Deauville. Caen tire son épingle du jeu, mais arrive au bord de la saturation commerciale.

Ce sont cependant les arbres qui cachent la forêt : Alençon, Le Havre, Évreux connaissent une vacance commerciale de 10 à 15%. Ces villes ont dépassé le seuil critique. Et sans nul doute, dans le cas d’Évreux, l’extension du Carrefour Grand Évreux et ses 60 nouvelles enseignes va encore grever le centre-ville. La situation empire plus encore dans les petites villes et les bourgs.

Nous pouvons parler du village de marques de Douains, situé sur l’A13, entre Vernon et Évreux : un projet de 16 000 m2 de zone d’activités commerciale, 80 boutiques accessibles uniquement en voiture, et des extensions à venir. Il a été rejeté. Les écologistes s’y sont opposés, comme les associations commerçantes de Vernon, ou du maire de Louviers  à une époque. Mais c’est le poids des commerçants de Rouen et de la Métropole qui a permis de faire capoter le projet. Sébastien Lecornu, ex-maire de Vernon, ex-président du Conseil départemental et farouche défenseur de ce projet au nom, je cite : « du carcan législatif qui interdit d’entreprendre et de créer, et qui fait mourir notre pays lentement ».

Le groupe Mc Arthur Glenn peut faire appel de cette décision devant le Conseil d’État. C’est ce que souhaite l’ex-président de département, aujourd’hui… secrétaire d’État à l’écologie.

Pour finir, revenons un instant sur le cas de Caen, dont on sait la saturation commerciale : le commerce du centre-ville est désormais menacé par l’implantation de l’extension d’Ikea : aux 19 500 m2 du magasin ouvert en 2011 s’ajoutent un hyper-marché et 70 boutiques sur 30 000 m2.

Contre l’avis de tous les maires de l’agglomération, sauf le maire de Fleury-sur-Orne, contre l’avis de tous les commerçants, la Cour administrative de Nantes a validé le projet début 2016.

Depuis la loi LME (Loi de Modernisation de l’Économie), dite Loi Michel Édouard Leclerc, les élus n’ont plus le droit d’invoquer les conséquences commerciales des nouvelles ouvertures de magasin sur le commerce des centres-villes.

Seules les conséquences environnementales peuvent être invoquées. Mais un petit peu de peinture verte, un toit végétalisé et quelques arbres plantés suffisent aux tribunaux pour valider un projet au nom de l’Environnement.

Or les destructions d’espaces agricoles et naturels ne peuvent plus être compensées aujourd’hui. Il n’y a plus de terres disponibles pour cela. Les conséquences pour l’environnement et le climat,  avec en plus un trafic automobile et une pollution augmentée, sont incommensurables.

Non, notre pays ne meurt pas de ne plus construire des ZAC de plus en plus gigantesques et à l’écart des villes : ce sont nos villes qui meurent, ce sont nos terres agricoles que l’on enterre, et des emplois en ville que l’on détruit quand on construit des ZAC.

Parlons aussi des villes qui réussissent : Strasbourg, Nantes, Toulouse, Grenoble, Rennes, Bordeaux… C’est l’accessibilité multimodale, la piétonisation du cœur de ville, le partage de l’espace public entre piétons, vélos, bus, tramways et automobiles, ainsi que les activités et les événements culturels, de loisirs ou sportifs qui permettent à ces villes de retrouver l’identité de leur ville, la convivialité et la réussite commerciale. Des villes qui savent contenir l’étalement urbain et l’activité commerciale en périphérie. Des villes où il fait bon vivre, se promener et respirer.

Écoutons pour finir l’alerte que sonne Emmanuel Hyest : en 2016, 22% des terres ont perdu leur vocation agricole, l’artificialisation des sols est repartie en flèche. 60 000 ha par an, cela veut dire qu’en 2060, la France aura perdu ¼ de son potentiel agricole. Parlant d’accaparement des terres, il en appelle à une meilleure régulation du marché, et à une nouvelle loi foncière.

Sauvons nos villes, sauvons le commerce de proximité, sauvons nos terres agricoles et sauvons le climat : soit nous inscrivons dans le SRADDET le principe d’un moratoire sur l’artificialisation des sols, préservant nos terres agricoles, évitant des effets néfastes sur le climat et la pollution ; soit nous tuons nos villes et nos campagnes.