Enquête publique – Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires de Normandie (SRADDET)
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Rouen, le 20 juin 2019

Contribution à l’enquête publique du Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires de Normandie

Le Groupe Normandie Écologie – EELV a déposé ce jour une contribution dans le cadre de l’enquête publique relative au Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires de Normandie.

Notre contribution à l’enquête publique peut être consultée ci-dessous.

* * *

Introduction

Porté par une Région devenue par la loi NOTRe chef de file en matière d’aménagement du territoire, de lutte contre le changement climatique et de développement durable, le SRADDET est un outil clé qui doit permettre d’assurer la cohérence de plusieurs politiques publiques.

Résultant de la fusion de plusieurs plans et schémas régionaux préexistants, le SRADDET sera un document prescriptif pour les futurs SCOT et PLUI.

« Le Sraddet fixe des grandes priorités d’aménagement. À la différence d’un document d’urbanisme, il ne détermine pas les règles d’affectation et d’utilisation des sols. Mais la nature fortement stratégique, prospective et intégratrice des diverses politiques publiques abordées dans le Sraddet doit lui donner une importance majeure pour le territoire régional. Sa portée juridique se traduit par la prise en compte de ses objectifs par les plans et programme locaux de rang inférieur et par la compatibilité aux règles de son fascicule de ces mêmes documents : schémas de cohérence territoriale (SCoT) et, à défaut d’existence d’un SCoT, par les plans locaux d’urbanisme (PLU), par les cartes communales ou les documents en tenant lieu, ainsi que par les plans de déplacements urbains (PDU), les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) et les chartes des parcs naturels régionaux (PNR). » (Pages 7 et 8 de l’Avis délibéré n°2019-16 du 24 avril 2019 de L’Autorité Environnementale).

Nous voulons saluer le travail de diagnostic relativement complet qui a été mené – et que l’on retrouve bien illustré dans la partie « Rapport » du SRADDET.

Cependant, au-delà des constats, le document s’avère décevant en ce qui concerne les prescriptions d’aménagement, telles qu’elles figurent dans le Fascicule – le seul document juridiquement opposable aux documents d’urbanisme de rang inférieur (SCoT et PLUI).

Ce qu’on nous « vend » dans les belles 390 pages du Rapport ne se retrouve pas dans les 54 pages du Fascicule, qui va pourtant seul se traduire dans la réalité.

Le SRADDET rappelle bien entendu les trois piliers du développement durable, mais en proposant systématiquement de placer en tête le développement économique.

La première ambition du projet normand, affichée dès le Rapport d’orientation qui a été voté le 18 décembre 2017, est de « conforter la place du territoire normand dans son environnement… ». Mais la suite nous fait comprendre qu’il s’agit, non pas de nature avec « l’environnement », mais toujours d’économie : il s’agit de penser la Normandie comme « un écosystème économique et logistique » (p.4 du rapport).

Loin d’une réelle prise en considération des enjeux environnementaux, le SRADDET est un fourre-tout empilant tout ce qui existe – y compris les aéroports, les routes, les autoroutes.

Or le SRADDET, se doit avant tout, et dans le contexte de crises environnementale et sanitaire que nous vivons, de respecter comme le rappelle l’AE, les enjeux environnementaux dont les principaux sont :

-la réduction de la consommation d’espace et de l’artificialisation des sols ;

-la diminution des consommations énergétiques et des émissions de gaz à effet de serre et le développement des énergies renouvelables ;

– la prévention des risques littoraux ;

– la prévention et la réduction de l’exposition des populations aux pollutions et nuisances ;

– la préservation et la restauration de la biodiversité, des milieux naturels et des continuités écologiques ;

– la réduction, la réutilisation, le recyclage des déchets et matériaux en favorisant le développement d’une économie circulaire.

Et bien sûr les politiques mises en place devraient être jaugées de façon transversale à l’aune de leur impact sur le climat et l’environnement. Ce principe porte un nom en droit, le « principe d’intégration » : intégrer dans toutes les décisions publiques une évaluation de leur incidence sur l’environnement.

Le changement climatique n’est pourtant l’objet que d’un sous-point du SRADDET normand, même, si nous le soulignons il emmarge parmi les enjeux majeurs.

Ainsi, Nous souhaiterions insister sur certains points de ce SRADDET qui nous apparaissent particulièrement problématiques :

Transports

Le schéma des itinéraires routiers d’intérêt général a été la toute première pierre du SRADDET normand, le 16 octobre 2017 – le même jour que la présentation de la politique de développement durable de la Région.

L’Autorité Environnementale souligne avec acuité ce défaut d’engagement :

« Malgré le souhait affiché d’une approche transversale pour la gestion du foncier, la biodiversité et l‘atténuation du changement climatique, des contradictions peuvent apparaître comme le fait d’identifier « un foncier abondant, peu cher et disponible sur certains territoires de la Normandie » comme un atout pour l’objectif de développement de la stratégie logistique ou la volonté de développer l’offre aéroportuaire.

De manière plus générale, le développement de nouvelles infrastructures et offres de transport aura des impacts négatifs sur l’occupation des sols, la biodiversité, les continuités écologiques, la consommation d’énergie, les émissions de GES et de polluants atmosphérique. Il serait donc nécessaire de préciser la nature des opérations envisagées et d’en dresser autant que possible la liste afin de pouvoir prendre en compte leurs effets de façon globale et non pas, comme proposé par l’EES, uniquement projet par projet (cf. chapitre 2.4.1). Il est en effet nécessaire de s’assurer de la compatibilité de l’ensemble des projets envisagé avec les objectifs environnementaux du Sraddet. Ceci permettra également d’envisager des solutions globales, notamment pour les mesures compensatoires. » (Avis délibéré n°2019-16 du 24 avril 2019, page 32)

Energie & Climat-air-énergie

La Stratégie Climat qui devrait être la pierre angulaire du Sraddet n’en constitue qu’un chapitre parmi d’autres. Le flou de l’évaluation des actions déjà mises en œuvre, l’imprécision des objectifs à 2030 ou à 2050, et l’absence de stratégie volontariste ne permettront pas de relever ce qui est le défi majeur de notre siècle pour notre région comme pour la planète.

Remarque préliminaire :

L’ensemble des faibles solutions proposées pour limiter le réchauffement tout autant que ce qui tient lieu de stratégie d’adaptation reposent exclusivement sur l’approche de la transition énergétique. Elles ignorent celles offertes par les écosystèmes. Sont ainsi ignorés les inestimables services rendus par la nature pour stocker le carbone, lutter contre les ilots de chaleur dans les villes et centres bourgs… Limiter l’artificialisation, préserver les espaces forestiers, préserver et restaurer les prairies et les haies, restaurer la biodiversité, végétaliser les villes, sont des outils qui devraient constituer un pilier à part entière de la politique publique de lutte contre le réchauffement. Ce qui implique la remise en cause radicale des politiques d’aménagement qui sont privilégiées dans le présent document.

S’agissant des émissions de GES :

  • La stratégie nationale bas carbone adoptée en 2017 a fixé l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050. Il n’est pas concevable, comme c’est le cas de ce présent document, que cet objectif ne soit pas retenu dans le SRADDET et décliné dans les actions proposées et dans les trajectoires associées
  • Alors que les SRCAE des deux ex régions Haute et Basse-Normandie fournissaient des éléments précis sur les consommations d’énergie et les émissions de GES, le SRADDET se contente de souligner que les objectifs nationaux ne sont pas atteints sans plus de précision qualitative et ne fournit pas de données précises et actualisées.
  • Aucune trajectoire régionale de diminution des GES, ni générale, ni sectorielle, n’est inscrite dans le présent document. Cette absence de scénario ne permettra à fortiori pas non plus de mesurer les impacts attendus du Sraddet.

S’agissant des ENR :

  • Dans le projet de SRADDET, il est prévu que la part des ENR atteigne 17% de la consommation totale en 2021. Cet objectif est inférieur de plus de 30 % à celui fixé par les SRCAE des 2 ex régions ; (- 40% pour l’éolien terrestre, – 70% pour l’éolien maritime, Hydrolien à 1400 GWH en 2030 / 9000 Gwh dans le SRCAE Basse-Normandie)
  • L’objectif de porter la part des ENR à 30% en 2030 est dans ces conditions peu crédible s’il n’est assorti d’objectifs sectoriels détaillés accompagnés des moyens nécessaires.

Biodiversité et continuités écologiques

En suivant l’avis de l’Autorité environnementale, nous pouvons noter que les données sur les espèces menacées sont souvent fournies à l’échelle des anciennes régions, empêchant une analyse plus  poussée avec l’absence de données unifiées. De même nous nous inquiétons des remarques de l’AE concernant la légèreté avec laquelle sont présentés et synthétisé les probables impacts des projets d’aménagements sur les zones Natura 2000 normandes. Le plus grand sérieux est pourtant requis à notre avis concernant ces zones de protection essentielles au maintien de la biodiversité autochtone de notre région.

Qualité de l’air et santé humaine

Des zones dites « zones sensibles à la qualité de l’air » ont été identifiées dans les SRCAE de Haute-Normandie et de Basse-Normandie. Elles concernent 183 communes, représentant 4 % de la population normande, et 6,25 % de la surface régionale. Dans l’EES du  SRADDET normand, il est  bien souligné que des épisodes de pollution aux particules fines ont eu lieu en 2016, notamment à cause des combustions d’hydrocarbure, de biomasse mais aussi de l’utilisation de pesticides. Ce constat est un peu court, ces épisodes d’alerte aux particules fines, nécessitant des arrêtés préfectoraux de réduction de vitesse  ont été particulièrement nombreux depuis 2016 avec un pic inquiétant à l’hiver 2019.

Le SRADDET propose une liste de plans et schémas au niveau régional sans nécessairement proposer un bilan des plans arrivés à échéance et mentionnés dans le document comme le plan de protection de l’atmosphère (PPA) établi sur les départements de l’Eure et de la Seine-Maritime (2014-2018) par exemple.

L’Autorité Environnementale le rappelle dans son analyse thématique du SRADDET, dans le domaine de la santé humaine : « L’état de santé au niveau régional est qualifié de dégradé avec plusieurs indicateurs défavorables comme la surmortalité avant 65 ans, liée principalement aux décès par cancers et maladies de l’appareil circulatoire, et un taux d’hospitalisation pour asthme plus élevé que la moyenne nationale chez les jeunes de moins de 15 ans. »  (Avis délibéré n°2019-16 du 24 avril 2019, page 19). Il s’avère que ce point est aussi fortement souligné dans le Plan Régional de Santé présenté en juin 2018 par l’ARS.  Dans l’esprit des SRADETT, la dégradation de la qualité de l’air et l’adaptation au changement climatique sont identifiés comme les principaux enjeux en lien avec la santé humaine.  Or dans le SRADDETT normand, ce point n’apparaît pas comme un enjeu majeur mais simplement comme l’un  des 4 enjeux importants  (au même titre que l’adaptation au changement climatique (hors risques naturels liés au sol et à l’eau) ; la préservation de  la qualité des sols et de l’eau et la préservation du patrimoine paysager et architectural. Comme le souligne l’AE cet enjeu devrait à notre sens être reclassé d’ « important » en « majeur ».

Concernant plus globalement la santé des Normands et des Normandes les conséquences environnementales et sociétales sont, et seront de plus en plus dramatiques, avec l’aggravation des risques d’inondation, la mise en péril de la capacité des sols à nous nourrir, mais aussi la surmortalité, déjà présente, liée aux cancers et aux maladies de l’appareil respiratoire (comme cela est rappelé p.29 du Rapport, avec 2600 décès par an attribués à la pollution de l’air).

Eau

Prenons l’exemple de la Vallée de la Seine, dont le SRADDET veut conforter la vocation logistique : l’expression géométrique d’« Axe Seine » est peu à peu délaissée au profit de la plus naturelle « Vallée de Seine », mais la vision productiviste reste la même.

Les écologistes défendent l’espace naturel sensible de l’estuaire, une zone humide à l’intérêt biologique remarquable, grignotée peu à peu par l’extension de Port 2000 et les Parcs logistiques du Pont de Normandie.

Et l’on peut ainsi remonter tout au long du fleuve. Le site classé de la Boucle de Roumare, sur le périmètre de protection rapproché du captage de Moulineau – stratégique pour la métropole – est lui aussi menacé par l’immense projet de pôle logistique RVSL AVAL. La CCI de Rouen a même été jusqu’à demander au Conseil d’État l’annulation du décret de juin 2013 portant sur le classement de la Boucle de Roumare – demande fort heureusement rejetée.

Par ailleurs, le projet d’autoroutes A133-A134 mettrait en péril l’approvisionnement en eau potable de la métropole rouennaise. L’Agence de l’eau Seine Normandie insistait sur cette vulnérabilité et sur les risques de pollution, dans son Cahier d’Acteur en 2005.

Le tracé de l’infrastructure se superpose en effet à un important réseau de bétoires, ou dolines, qui sont des points d’entrées de pollution de la nappe phréatique en zone karstique. Ces zones de bétoires, non-constructibles pour le bâti, ont été choisies pour le tracé d’une infrastructure amenant un risque de pollution aux hydrocarbures.

En prévision d’accidents futurs (sécheresse, ou pollution des captages par les hydrocarbures), les études du BRGM et de la métropole projettent d’étendre l’interconnexion des captages qui alimentent la métropole jusque dans l’Eure  – et notamment jusqu’au captage sur la nappe de Poses – Val de Reuil – Hauts Prés, protégé par le maraîchage biologique mis en place à l’initiative des écologistes dans l’agglomération Seine-Eure.

Occupation du sol et consommation d’espace

Sur cette question, la restructuration agricole qui sévit depuis plusieurs décennies a des conséquences désastreuses à la fois pour et sur nos territoires.

Avec une perte annuelle de 3% d’actifs agricoles, la transformation du paysage et des conditions de vie des agriculteurs sont inévitables, cela résulte de choix d’un autre temps qui génèrent plus d’externalités négatives que positives, aujourd’hui, il faut en modifier la base et changer de direction.

L’évolution de notre système agricole productiviste cause des préjudices considérables sur les pans économiques, sociaux et environnementaux. On augmente la concentration d’élevage afin d’augmenter le rendement et de libérer de nouvelles surface disponibles (-1,5% par an). Ainsi, la surface libérée est utilisée afin de permettre la progression des plaines céréalières au cœur du bocage normand.

Le maraichage traditionnel, qui nourrit les villes depuis des siècles à Martot et Criquebeuf par exemple – comme en ceinture maraichère parisienne – se trouve peu à peu réduit par les carrières, les zones d’activités, les lotissements, et la création de nouvelles voies. De 40 fermes à Criquebeuf en 1988, on est passé à 10 aujourd’hui, et 5 à Martot. Il reste aujourd’hui dans les deux communes 355 hectares consacrés aux cultures de légumes (en régression de 31 ha depuis 1999). Par comparaison, dans tout le département de l’Eure, 673 hectares seulement sont utilisés pour les cultures maraichères. Salades, asperges, choux de Bruxelles, navets, poireaux : pour notre pot au feu, faudra-t-il les faire remonter d’Espagne par l’A133, parce qu’on aura tué nos terres agricoles ?

Au cours du dernier demi-siècle écoulé, 54% des surfaces de prairies ont disparu sur le territoire normand, c’est plus que toute autre région.

Sur l’élevage, nous sommes dans un système basé sur le maïs ensilage dépendant d’importations de protéines azotées ce qui contribue à une croissance des gaz à effet de serre. Cela est-il cohérent et souhaitable ?

De même le processus de développement de la méthanisation, s’il fait appel aux grandes cultures pour alimenter le digesteur, sera un inconvénient supplémentaire pour l’environnement et éloignera l’agriculture de sa mission de servir la souveraineté alimentaire.

L’agriculture a beaucoup trop vécu enfermée dans un corporatisme, préjudiciable, et négatif pour l’ensemble de la société, y compris pour les agriculteurs eux-mêmes : ainsi les choix de gestion de la destination des sols agricoles ne peuvent plus faire l’impasse de mutation citoyenne, transparente, et démocratique. Que tous les 7 ans, nous puissions perdre un département agricole dans notre pays nous oblige au courage et au réalisme.

La réforme de la Politique Agricole Commune est un des axes nécessaires à l’amélioration de la situation. Le SRADDET doit revendiquer une évolution de la PAC afin de mettre en cohérence ses politiques publiques. Il est totalement légitime que cette urgente revendication vienne de la région comme elle contractualise sa politique agricole économique avec l’Union européenne. Il est temps que le processus de soutien à la souveraineté alimentaire des territoires soit à la fois une aide à l’actif mais aussi un accompagnement au développement des modèles agricoles et alimentaires vertueux.

Pour une vraie cohérence territoriale, il faut des agricultures performantes sur les plans agronomique et citoyen, mais aussi redonner un sens aux cœurs des villes afin d’y permettre le développement et le maintien d’une offre de services publics de qualité.

Un levier pour permettre de réaliser cela, serait de rendre enfin obligatoire la présence d’élus et de citoyens dans les commissions locales de gestion des mutations foncières et de destinations des sols afin de mettre démocratiquement en place la transition économique, écologique et sociale tant attendue.

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Un autre sujet primordial est l’arrêt de l’artificialisation des sols. Il peut avoir lieu si les politiques d’aménagement du territoire tiennent enfin compte des spécificités territoriales. Les cœurs des bourgs et des villes ne peuvent plus être continuellement délaissés par l’extension des zones bétonnées, industrialisées et déshumanisées.

Pendant que les logements vacants ont augmenté de 5,4 % par an entre 2010 et 2015 – la moyenne étant de 3,4 % pour la France métropolitaine – les centres-villes eux se vident, au profit de nouvelles constructions en périphérie, que ce soit pour l’habitat, le commerce ou les activités économiques.

Ce modèle développe la concurrence territoriale et n’est pas compatible avec l’apaisement, le collectif et le partage nécessaires au vivre-ensemble. La conséquence directe de l’extension des zones de bétonnage est le développement des ronds-points, des 2×2 voies et la régression des mobilités organisées et collectives.

L’enjeu du foncier est problématisé dans le SRADDET – considéré sous l’angle des conflits d’usage entre environnement, agriculture et économie. « Le foncier est une ressource rare, lit-on page 19 du rapport d’orientation du 18 décembre 2017Dans le même temps, il constitue la base de tout aménagement. » « Le SRADDET devra donc traiter non seulement leur intégration environnementale et paysagère, lit-on page 11mais aussi par exemple les questions relatives à la localisation de zones d’activités. » Ou encore page 27 : « les atouts économiques de la Normandie doivent trouver leur place sur le territoire, et le SRADDET doit offrir les conditions territorialisées de cette ambition, avec la localisation optimale des zones d’activités… ». Ce « en même temps » relève soit de l’injonction paradoxale, soit plus simplement du marketing vert.

Renchérissant sur l’appel que le groupe Normandie Ecologie EELV avait lancé le 18 décembre 2017 pour un moratoire sur l’artificialisation des sols (en s’appuyant sur le documentaire poignant de la normande Ariane Doublet, « La Terre en morceaux »), le CESER a sonné l’alarme à son tour, dans un rapport publié en septembre 2018 : le béton grignote à grande vitesse les surfaces naturelles de Normandie, et l’artificialisation des sols y progresse à un rythme cinq fois supérieur à la croissance démographique. (Contribution, septembre 2018 : « Sraddet, pour une réduction ambitieuse de la consommation d’espaces agricoles et naturels »).

Les objectifs visant à limiter l’artificialisation des sols doivent être partagés pour tous les usages. En effet, si le secteur de l’habitat résidentiel a été amené ces dernières années à se fixer des objectifs de réduction de sa consommation de foncier (plus ou moins bien acceptés et mis en œuvre), il n’en va pas de même s’agissant des zones d’activités économiques et des infrastructures …

A l’instar de la région voisine Centre-Val de Loire, la Normandie devrait inscrire dans son SRADDET le principe de zéro artificialisation nette. Malheureusement ce n’est pas le cas, la région se contente de vouloir « favoriser la réduction au moins par 2 du rythme de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers ».

L’Autorité Environnementale souligne les insuffisances de cette formulation et des modalités de mise en œuvre de l’objectif :

« La Normandie est une des régions métropolitaines les plus marquées par le phénomène d’étalement urbain et de consommation d’espaces agricoles et naturels.

Le Sraddet traite de cette question, notamment dans le cadre des objectifs 4 (« Foncier : poser la conciliation des usages comme impératif ») et 49 (« Mobiliser les outils fonciers pour limiter l’artificialisation des sols et concilier les usages »). 

Une règle en particulier vise à « Favoriser la division au moins par deux du rythme de la consommation des espaces agricoles naturels et forestiers à l’horizon 2030 ». Il s’agit d’une des rares règles générales du Sraddet assorties d’un objectif quantifié. 

Cette démarche de réduction de l’artificialisation est un enjeu important pour démontrer le caractère opérationnel du Sraddet et il convient de bien préciser son niveau d’ambition : cela nécessite en particulier une définition précise de la période de référence, au regard de laquelle sera apprécié l’effort de réduction de consommation d’espace, et une traduction très concrète du terme retenu dans l’énoncé de la règle générale de « favoriser » la réduction de la consommation d’espaces, notamment au travers d’une animation des SCoT, qui constituent sans doute le principal niveau d’action dans ce domaine. 

L’Ae recommande, dans le cadre de la règle relative à la baisse du rythme de la consommation des espaces agricoles, naturels et forestiers, de définir la période de référence utilisée, et de fixer clairement l’objectif et les modalités de mise en œuvre. » (Avis délibéré n°2019-16 du 24 avril 2019, pages 30-31)

En effet, sans indicateurs d’origine et de période de référence, quelles peuvent être les modalités de mesure et de contrôle de ce rythme ?

Risques naturels, industriels et technologiques

Le principal risque naturel pour notre région est le risque inondation du fait des nombreux cours d’eau qui la traversent et des nombreuses zones humides. Une vigilance particulière doit donc être de mise concernant l’artificialisation des terres que nous avons déjà soulignée. Mais notre région compte aussi  1350 ICPE industrielles et 345 ICPE agricoles soumises à autorisation (dont 46 de type Seveso seuil haut). L’activité nucléaire y est aussi particulièrement  importante avec six installations nucléaires qui menacent de manière permanente notre santé pour ne pas dire nos vies Le Sraddett doit tenir compte de ce fait et limiter l’extension de ces installations et renforcer leur surveillance dans un but de protection de la santé des populations et de l’environnement.

Déchets

La région a bien produit son PRPGD voté en février 2018.  Ce plan régional de prévention et de gestion des déchets qui se devait d’être ambitieux et contraignant, loin d’être un exercice obligé, aurait pu être l’occasion d’améliorer fortement la situation environnementale de notre région et de diminuer les risques pour la santé des populations exposées aux trop nombreux polluants générés par nos activités agricoles et industrielles.

Or, si la méthode d’élaboration de ce plan et le travail de compilations de données réalisé sont à saluer, le résultat obtenu est bien décevant. Certes, le travail proposé est propre, correct, réglementaire mais manque clairement d’ambitions, d’objectifs et de volonté politique. Il aboutit juste à ce que la Normandie se mette en conformité avec la loi et soit la première région à le faire. Par exemple, la tarification incitative y est évoquée mais pas vraiment planifiée. Ce constat est d’ailleurs partagé par les rédacteurs du rapport environnemental qui ont  souligné que : « les efforts d’optimisation et de changement des pratiques exprimés dans les objectifs nationaux sont repris tels que dans le plan normand, à l’exception du gaspillage alimentaire pour lequel des marges de progrès supplémentaires sont permises ».

Deux point y sont particulièrement mal traités et présentent un manque d’ambition notoire : le traitement des déchets dangereux et celui des bio déchets.

Concernant les déchets dangereux, fort heureusement pour notre région les déchets nucléaires sont hors du périmètre des PRPGD, sans quoi nous aurions eu quelques soucis à nous faire… Cependant, les installations nucléaires ne produisent pas que des déchets radioactifs relevant de la filière spécifique, elles produisent aussi, comme beaucoup d’autres activités industrielles, des déchets à radioactivité naturelle renforcée, les RNR, qui eux entrent dans le périmètre des PRPGD. Or, rien sur ces RNR n’est prévu dans le rapport.

Nous avons aussi à gérer en Seine-Maritime deux sites de stockage de terres polluées cumulant 60 millions de tonnes de phosphogypse – résidus pétroliers et autres hydrocarbures pour lesquelles les associations environnementales demandent depuis des années une surveillance et une gestion renforcées. Nous aurions aimé trouver dans le PRPGD des solutions claires aux problèmes de pollution des eaux que les lixiviats de telles infrastructures génèrent. Plutôt que d’apprendre que la Normandie est candidate à être la poubelle du Grand Paris en accueillant 4 millions de tonnes de déchets.

Or, le traitement des déchets dangereux est à peine évoqué (l’équivalent de 3 pages sur les 178 pages du document), on y lit que les données concernant la quantité de déchets dangereux à gérer et transporter d’ici à 2021 ou 2027 sont indisponibles, puis plus tard que les hypothèses retenues sont celles d’une stabilisation des volumes de stockage pour la période du plan. Ainsi, avec un PRPGD faible, le SRADDET n’a aucune chance de répondre aux exigences de réduction des déchets qui entre pourtant dans les objectifs à atteindre.

Le PRPGD normand a fait l’objet à ce titre d’un recours de l’association environnementale Manche Nature. Dans la perspective de l’audience du 20 juin, le rapporteur public a proposé au Tribunal l’annulation totale du plan en vertu d’une méconnaissance des dispositions des articles L.541-13 et R.541-16 du code de l’environnement. Le jugement du Tribunal est attendu à cette date.

(Pour rappel, voici le lien vers la contribution du groupe Normandie Ecologie à l’enquête publique du Plan Régional de Prévention et de Gestion des Déchets : https://elus-normandieecologie.eelv.fr/enquete-publique-plan-regional-de-prevention-et-de-gestion-des-dechets-de-normandie-prpgd/)

Conclusion

La crise des gilets jaunes, en réaction à la fiscalité carbone, peut être considérée comme une première manifestation de la crise climatique en France, en même temps qu’une crise de l’aménagement du territoire – conséquence d’un modèle de l’étalement urbain qui éloigne toujours plus les lieux de vie des lieux de travail, d’éducation, de soin, de consommation et de culture. Ces crises seront de plus en plus violentes si les pouvoirs en place n’agissent pas dès maintenant.

Ce sont les symboles de cet étalement anarchique qu’ont occupé les gilets jaunes : les ronds-points, les échangeurs, les centres commerciaux, qui sont les stigmates du déménagement de notre territoire.

Et l’on continuerait ? En mettant des millions d’euros d’argent public dans de nouvelles plateformes logistiques, de nouvelles routes, de nouvelles autoroutes à péage, des échangeurs offerts à la SAPN – qui à leur tour appelleront de nouvelles zones d’activités et de nouvelles zones à urbaniser au milieu des champs – comme cela a été voté par exemple à la Haye Tondue, et bientôt sur les plateaux Est de Rouen avec le pseudo contournement Est. Ces projets, sources de pollution, viendront artificialiser des centaines d’hectares supplémentaires, qui vont éloigner et vider encore un peu plus les centres-villes, générant de nouvelles friches à traiter par les collectivités.

Le SRADDET de la région Normandie devrait être une réponse à ces inquiétudes ainsi qu’à l’équilibre de la préservation d’un environnement durable et sain limitant les impacts néfastes sur la santé des Normands et des Normandes. Malheureusement le document qui nous est proposé, pour les raisons listées ici, n’est pas à la hauteur de la transition écologique et sociale nécessaire.