Assemblée plénière Région Normandie – Lundi 14 octobre 2019 – Intervention de Laëtitia Sanchez sur le rapport sur les orientations budgétaires 2020
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Assemblée plénière de la Région Normandie – Lundi 14 octobre 2019

Rapport sur les orientations budgétaires 2020

Intervention de Laëtitia Sanchez, Présidente du groupe Normandie Ecologie-EELV

Je n’interviendrai pas sur l’ensemble des politiques menées par la Région ni sur sa gestion financière globale. Je me concentrerai sur les objectifs stratégiques 1 et 3, qui illustreront plus globalement les choix qui sont opérés.

Sur l’objectif 1 – Mission 5 : « Faire de la Normandie la région de toutes les énergies », je réitère les remarques et les interrogations formulées en commission, en remerciant par avance Hubert Dejean de la Bâtie pour la franchise de ses réponses.

Pour atteindre ses objectifs de lutte contre le changement climatique, la Région Normandie mise sur ses plans : Bâtiments Durables, Économie circulaire, Hydrogène, Bois Énergie et Méthanisation.

Nous apprécions certes le soutien apporté aux quelques projets de production et d’autoconsommation photovoltaïque, en répétant une fois encore qu’il faudrait massifier les projets de territoires 100% Énergies renouvelables – le temps n’étant plus dans ce domaine à l’expérimentation ou à la vitrine de bonnes pratiques.

Concernant la méthanisation, nous n’y sommes pas opposés, quand elle est correctement dimensionnée et qu’elle est complémentaire, et non pas concurrente de la production agricole. Notre groupe vous demande d’être particulièrement vigilant sur ce point, tant le cadre du plan national de méthanisation semble la porte ouverte à toutes les dérives…

Nous avons des alertes également en ce qui concerne le bois énergie.

Si nous soutenons l’utilisation du bois bocager, vertueux pour le maintien et l’entretien des haies du paysage bocager, nous demandons : quelle proportion cela représente-t-il dans la filière bois-énergie ?

Nous voulons relayer ici l’alerte des forestiers depuis plus d’un an, qui dénoncent une accélération de l’industrialisation de la forêt, avec des coupes rases, de la monoculture sylvicole, et l’utilisation des pesticides qui vont avec. Dans les forêts où l’on ne trouve qu’un seul type d’arbre, il n’y a pas ou peu de biodiversité. Vous avez sans doute déjà vu ces rangées d’arbres uniformes où règne le silence, où il n’y a aucun bruit d’oiseaux, aucun écureuil, aucun lapin, aucun chevreuil. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils n’ont pas de quoi se nourrir ou construire leur habitat. Les plantes y sont rares également, car l’humus y a été labouré et traité.

Ne sacrifions pas la biodiversité et les services que rend une forêt naturelle sur l’autel d’un profit à court terme.

Pour terminer avec les énergies, nous voulons dénoncer le leurre ou la tromperie de l’hydrogène, avec des stations de recharge Easymob qui explosent les coûts initialement prévus, pour un usage réservé à quelques flottes de collectivités, et sans qu’aucun particulier ne puisse en bénéficier… et pour cause ! Chacun connaît-il ici le prix d’un véhicule hydrogène ? A partir de 72.000€ la voiture… et 36.000€ par vélo pour 20 vélos dans la Manche, si l’on inclut toutes les subventions publiques, stations comprises. Rendez-vous compte ! C’est plus cher qu’une Zoé, alors même que le département dispose de 131 bornes doubles de recharge. 20 vélos pour le tourisme ET l’insertion professionnelle. Des centaines de vélos électriques auraient pu être livrés pour la même somme. Ou une voiture électrique pour le coût d’un seul vélo.

 Les PDG de Total ou Volkswagen le disent très clairement aujourd’hui : il n’y a pas d’horizon à 10 ans pour la filière hydrogène. Patrick Pouyanné, PDG de Total, dit :

   « Quand on fait les calculs économiques et que l’on regarde la filière hydrogène, on a du mal à se convaincre qu’elle a un horizon à 10 ans. Cela coûte encore très cher. La batterie électrique a aujourd’hui un temps d’avance. Toyota, qui était complètement allé sur l’hydrogène, est d’ailleurs revenu sur l’électrique. »

Et pour Herbert Diess, PDG de Volkswagen : « la pile à combustible est un non-sens. L’efficience énergétique est le paramètre le plus important. »

« Je pense que le temps du débat est terminé, la situation est claire : les objectifs climatiques ne peuvent être atteints qu’avec les véhicules électriques. L’hydrogène est moins efficient.

Pour la même distance parcourue avec l’hydrogène, on consomme 3 fois (ou 2,5 fois) plus d’énergie qu’avec l’électricité directement. »

Enfin, pour finir sur les questions d’énergie, nous rappelons que la meilleure énergie est celle que l’on ne consomme pas : c’est le pilier n°1 des scénarios de transition énergétique de l’ADEME.

Alors que le gouvernement peine à remplir les objectifs nationaux de rénovation énergétique (avec plus de 7 millions de logements privés mal isolés en France ; 3 millions de ménages en situation de précarité énergétique ; 45 % des consommations énergétiques françaises et 20 % des émissions de gaz à effet de serre issues du secteur du bâtiment – résidentiel et
tertiaire), nous alertions il y a un an sur l’abandon de l’ALEC 27, et plus largement des Espaces Infos Énergies, auxquels se substituera un nouveau « Service d’Accompagnement pour la Rénovation Énergétique » (SARE), lancé par le gouvernement en septembre dernier, avec un financement prévisionnel insuffisant et incertain par les Certificats d’économie d’énergie.

L’expérience acquise depuis 20 ans avec les Espaces Info Énergie et les plateformes territoriales de rénovation énergétique montre que la proximité est essentielle pour accompagner efficacement les personnes dans un parcours de rénovation énergétique. Or, le Gouvernement renvoie la mise en œuvre du SARE à des pactes régionaux pour la rénovation énergétique, sans indiquer le rôle des Régions, cheffes de file de la transition énergétique, ni des intercommunalités, et encore moins l’articulation avec les dispositifs existants.

Pour un service public de la performance énergétique efficace, il faudrait 1 conseiller énergie pour 50.000 habitants sur l’ensemble des territoires. Ceci équivaut à un budget entre 600 millions et 1 milliard d’euros sur cinq ans. Or, le gouvernement prévoit de financer le SARE à travers les Certificats d’Économie d’Énergie (CEE). Non seulement cette source de financement – liée aux cours de la bourse – est instable, mais elle sera a priori insuffisante avec une projection à ce jour à hauteur de seulement 200 millions d’euros sur cinq ans.

Dans les prochaines semaines, nous devons être particulièrement vigilants à la mise en place du SARE. Nous demandons :

  • que les pactes régionaux de la rénovation énergétique soient élaborées dans la concertation d’ici début 2020 (la formalisation annoncée pour octobre n’est pas raisonnable pour construire un pacte sérieux) ;
  • que les Conseils régionaux, garants de l’équité territoriale, soient réaffirmés dans leur responsabilité de chefs de file de la transition énergétique, en animant la construction du pacte en lien étroit avec les intercommunalités ;
  • que l’État donne aux Régions les moyens et marges de manœuvre à la hauteur de l’enjeu avec une enveloppe de 1 milliard d’euros sur cinq ans ;
  • que le SARE soit l’occasion de simplifier et coordonner les dispositifs existants avec la création de guichets uniques facilement identifiables par les ménages.

Un mot pour finir sur ce chapitre des énergies, puisque vous persistez à réclamer un second EPR en Normandie : l’EPR est désormais synonyme de faillite, avec un nouveau retard pour la centrale d’Olkiluto, en Finlande ; un nouveau retard et des coûts qui dérapent de nouveau à Hinkley Point C, en Grande-Bretagne : 2,15 à 3,3 Mds €.

Et pour Flamanville enfin, un nouveau retard pour rattraper des travaux censés corriger des défauts qu’EDF connaissait par avance. 3 ans de retard supplémentaires, et une facture qui s’élève à 12,4 Mds €, pour l’instant. La centrale ne serait mise en exploitation qu’en 2023, mais EDF devrait changer le couvercle de la cuve défaillant dès 2024.

« Toutes ces dérives sont inacceptables », a déclaré Bruno Le Maire.

Ce n’est plus une dérive, l’EPR a coulé. Il ne reste plus qu’à séparer EDF : les branches profitables privatisées (« EDF vert ») – Enedis et les renouvelables d’un côté ; et de l’autre, « EDF bleu », qui est vu de plus en plus comme une « bad bank », une structure de défaisance pour laquelle, une fois de plus, les usagers et les contribuables seront appelés à payer. Pas renflouer, défaire. Enfin, on peut se poser la question : les prochains EPR français seront-ils chinois ?

Sur l’Objectif Stratégique 3 « Pour des transports efficaces au service des personnes et de l’économie », nous interrogeons une fois de plus les choix qui sont faits et leur efficacité.

Chef de file de la lutte contre le changement climatique, la Région Normandie danse d’un pied sur l’autre, en disant « p’têt ben que oui, p’têt ben que non », sans se décider à trancher.

Alors on embrasse tout, ce qui fait baisser et, en même temps, ce qui fait augmenter les émissions de GES. Des trains, du fluvial, des bus, des pistes cyclables… et des routes, des autoroutes, et des aéroports !

« Gouverner c’est choisir » disait un ministre qui fut pourtant lui aussi un maire normand.

Mais en Normandie, on ne choisit pas, Monsieur.

On continue donc d’injecter à perte les millions d’euros pour soutenir des aéroports déficitaires : 1 million sur les 5 millions de travaux de Rouen Boos l’été dernier – il n’y a même plus de ligne régulière ; et bientôt à nouveau 25% des investissements pour l’allongement de Caen-Carpiquet – à 57 kilomètres de celui de Deauville, et à moins de deux heures de l’aéroport de Rennes !

En matière de choix, nos modestes voisins européens Wallons nous donnent une bonne leçon, en abandonnant purement et simplement la construction de six nouvelles autoroutes. Le ministre du climat, de la mobilité, des infrastructures et de l’énergie l’explique ainsi :

« Au quotidien, pratiquement toute la population wallonne a des soucis de mobilité. Donc on doit proposer autre chose et il faut réorienter les budgets, les consacrer suffisamment aux alternatives. Et pour ça, il ne faut pas, en permanence, ajouter des tronçons routiers. »

On ne peut pas à la fois construire de nouvelles autoroutes et espérer que les habitants abandonnent leur voiture ou que les marchandises voyagent par le train. La Wallonie a donc fini par trancher.

Du bon sens…

Mais en Normandie, plus de 300 millions d’euros de crédits d’investissement auront été alloués sur le mandat à l’extension du réseau routier et surtout autoroutier – y inclus le contournement Est de Rouen, aujourd’hui suspendu à la Loi LOM, au projet de loi de finances de l’État et à la décision du Conseil d’État d’annuler ou pas la Déclaration d’Utilité Publique.

On voudrait prendre au mot la déclaration d’Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et des transports, le 19 septembre dernier : « Il ne faut plus artificialiser », et le Président Macron lui-même à l’ONU le 23 septembre lorsqu’il a déclaré (je cite) : « On ne peut pas prétendre lutter contre le réchauffement climatique et continuer à financer des infrastructures qui augmentent les émissions de CO2. Là encore, nous serons cohérents : si elles polluent, nous ne les financerons pas. »

Or, on connaît le mécanisme du trafic induit, qui fait que plus vous construisez de routes, plus vous créez de trafic, et plus vous émettez de GES. L’Autorité Environnementale a chiffré l’impact du contournement Est de Rouen : 50.000 tonnes supplémentaire de CO2 /an.

Or, le prix de la tonne carbone va s’envoler : de 32 € la tonne aujourd’hui, elle atteindra 250 € en 2030, 500 € en 2040 et 775 € en 2050. C’est la proposition du rapport Quinet II. Quelle stratégie pour la Normandie ? Bas carbone, ou pollution et haut carbone ?

Transférons ces crédits d’investissement à l’amélioration des infrastructures ferroviaires, qui bénéficient de moins que les routes, avec 167 millions d’euros. Les associations de transport ont par exemple chiffré à 135 millions d’euros la remise en état de la ligne Rouen-Évreux. Où en est cette étude, M. Gastinne ?

La région Normandie veut augmenter le nombre d’arrêts de TER dans le Roumois. La raison ? On a découvert que la gare de Thuit-Hébert, c’est un potentiel de 7 000 usagers/jour.

Il est bien plus important pour les usagers Rouen-CASE-Évreux.

Ce sont des dizaines de milliers de navetteurs qui vont du département de l’Eure à la métropole rouennaise et vice-versa, sans alternative à la RN 154.

Prenons exemple sur la métropole bordelaise qui développe un projet de tram-train pour relier la gare de Bordeaux à Lacanau : 220 millions d’euros pour un million de passagers/an. Rouen-Évreux, c’est bien plus de voyageurs pour un budget moindre. Lancez enfin l’étude promise.

Pour finir, le gouvernement vient tout juste de confirmer aux élus de la région Hauts-de-France que l’État s’engage à hauteur de 1,1 milliard d’euros dans le projet de canal Seine-Nord-Europe pour relier l’axe Seine au nord de l’Europe. Avec un financement européen d’environ la moitié du projet, jusqu’à 2,25 milliards d’euros milliards d’euros, voilà un projet d’axe Nord-Sud alternatif au transport routier. Vous choisissez d’investir dans la chatière. La Normandie pourrait aider à la modernisation de la flotte de cabotage fluvial, afin d’éviter ainsi de corneriser définitivement les ports normands, et d’abandonner ce marché à nos amis du Nord. Nous pouvons d’ores et déjà observer la mise en place d’un transport multimodal fluvial et ferroviaire entre Port 2000 au Havre, le port de Rouen et le terminal de Bonneuil-sur-Marne en Île de France avec l’opérateur Marfret et son navire fluvio-côtier « Le Lydia » connecté à une navette ferroviaire de conteneurs.