Assemblée plénière Région Normandie – 18 décembre 2017 – Discours de politique générale de Claude Taleb
Partager

Assemblée plénière Région Normandie – 18 décembre 2017

 

Débat de politique générale

 

Intervention de Claude TALEB, conseiller régional Normandie Écologie – EELV

Monsieur le Président, chers collègues, Mesdames et Messieurs,

Avant de partager quelques remarques sur le budget primitif, je souhaite revenir sur un propos sidérant tenu en séance par une représentante de votre majorité suivant laquelle « votre majorité n’aurait pas été élue pour se préoccuper d’environnement mais pour développer l’économie régionale ». En répondant à une interpellation écologiste, son auteure pensait peut-être clore le débat. Il n’en sera rien. Nous mesurons que ce point de vue n’est pas isolé. J’invite les collègues qui le partagent, à interroger le sens et l’efficience de cette approche. Et je ne désespère pas de vous convaincre que les défis des transitions  -énergétique, écologique, industrielle, numérique- appellent mieux que des réponses sommaires.

A défaut de la démarche holistique adaptée, au moins pouvez-vous vous interroger sur les chances de réussite d’une politique économique aveugle qui n’anticiperait ni l’exigence de l’adaptation au changement climatique ni celle de préservation des écosystèmes naturels, pour ce qu’ils sont porteurs non seulement de ressources mais d’aménités hors desquelles parler d’attractivité de notre territoire revient à discourir sur le sexe des anges.

Vous avez peut-être été élus pour vous occuper d’économie. Vous ne pouvez ignorer l’appel des 15 000 scientifiques, dont des chercheurs normands, qui nous disent que faute d’action à l’échéance proche de la fin de ce mandat, nous n’éviterons pas l’emballement des phénomènes de réchauffement, lesquels, figurez-vous, ont aussi un impact, délétère, sur l’économie.

Vous estimez que l’environnement n’est pas la cause pour laquelle vous avez été élus ? Pourtant, nos concitoyens, de droite comme de gauche, sont aussi avisés que préoccupés des impacts sur la santé des particules fines ou des pesticides…qui sont les effluents toxiques d’une certaine économie.

Vous prétendez agir pour le développement de l’économie -et peut être- de l’emploi, mais vous ignoreriez les sujets qui ont été sur la table au « One Planet Summit » : la finance et la fiscalité vertes, le prix du carbone, l’incontournable sortie progressive des énergies fossiles…

Et vous ignoreriez les initiatives des entreprises elles-mêmes, qui là prennent le contre-pied du Président des États Unis, ici publient un manifeste pour soutenir une « véritable transition écologique de la France » alignée sur la transformation de leurs propres process ?

Si cette théorie qui oppose économie à environnement ou écologie s’imposait, notre collectivité raterait le train du monde qui vient. Elle s’isolerait au moment où la France et les territoires normands prennent le virage de la transition. Ainsi la Communauté d’Agglomération Seine-Eure et la Métropole Rouen-Normandie, qui ont entrepris de co-construire avec les entreprises, dans le cadre du « Lab de l’Eco » et de la « COP 21 locale », des ambitions «zéro carbone» et «100 % renouvelables». Ainsi la France, la Suède et le Mexique, pays pionniers, qui ont accepté la proposition de l’OCDE dont les experts examineront l’alignement des budgets nationaux avec les engagements de l’accord de Paris sur la limitation du réchauffement à moins de 2 degrés en 2050.

L’opposition de l’économie à l’environnement est anachronique. Elle confine à de l’imprévoyance. Pour de nombreuses entreprises, rater le train de la transition signifiera des charges d’énergie plus lourdes, de l’innovation en moins, une attractivité en berne, au risque de la pérennité des activités et de l’emploi. Et ne doutez pas alors que ceux qui vous ont élus pour « faire de l’économie » et seulement de l’économie, sauront alors vous reprocher le défaut d’anticipation.

Je veux croire, Monsieur le Président que la politique de la Région ne se résume heureusement pas à cette formule inappropriée et malheureuse. Votre majorité est d’évidence aussi… plurielle que la gauche en son temps. Et puis, la conversion écologique subite du Président de la République, qu’il lui reste à traduire en actes concrets, montre que personne n’est à l’abri, que tout le monde peut bouger…

J’ai assisté le 14 novembre à la journée d’Énergies Normandie et y ai été témoin, Monsieur Le Président,  de votre engagement sans ambiguïté aux côtés du projet de Dieppe Le Tréport. Ayant régulièrement sollicité cette clarification depuis le début de la mandature, je vous en donne volontiers acte. Le plus large rassemblement de notre assemblée reste de mise sur ce dossier stratégique jusqu’au Conseil d’administration de l’Agence française de la biodiversité qui scellera son sort le 16 janvier.

Je m’adresserai donc aux collègues qui s’opposent encore au projet, de bonne foi. Pour les inviter à examiner sérieusement les conclusions d’une étude récente qui a été présentée au Parc naturel marin.  Réalisée par un organisme recommandé par le comité national des pêches, elle conclut que, sur la totalité des flottes de Boulogne, Le Tréport et Dieppe, loin des 1000 emplois menacés dont on nous parle parfois, une quinzaine de navires seront impactés par les travaux de construction du parc et seront intégralement compensés. On sait depuis septembre que la Grande commission nautique, qui réunit tous les services civils et militaires de l’État et la profession, a officiellement confirmé la possibilité de pêcher au sein du parc lorsqu’il sera en activité. Le moment est venu pour chacun de prendre ses responsabilités. La réalisation de ce parc et de ceux de Fécamp et Courseulles est d’intérêt général régional. Pour prendre le virage des renouvelables, pour notre tissu industriel et pour l’emploi.

S’agissant du budget primitif, je me tiendrai à des remarques de méthode et à une proposition en guise de conclusion :

Aucun suspens sur le vote des élus écologistes : le mode d’adoption choisi nous contraint à un vote bloqué. Dit autrement, il nous sera refusé de voter pour le budget dédié à la rénovation thermique, à l’économie sociale et solidaire ou aux mobilités douces sans aussi voter pour les crédits de la filière nucléaire et des autoroutes ou sans cautionner l’arrêt du co-financement des infrastructures des services de transports en commun et des services vélo des territoires…  Cette logique de blocs, très « ancien monde » est contre-productive dans un contexte où les défis du climat, de la biodiversité, de l’emploi et du chômage, plaident pour des majorités d’idées, chaque fois que c’est possible.

Votre copie budgétaire, Monsieur le Président est de lecture relativement aisée, il faut remercier les services qui ont œuvré à cette vision intégrée, normande.

Sur le fond, nous restons sur notre faim.

Les Normands doivent savoir qu’en 2018, la Région concèdera environ 1 % de son budget, 20 millions d’euros, à un environnement et un patrimoine naturel dont il est ici courant de souligner avec lyrisme le caractère exceptionnel et unique. Dans la même période, elle apportera 30 millions aux infrastructures routières qui ne figurent pourtant pas dans le bloc de compétences attribuées par la loi NOTRe aux régions. Vous le savez, nous ne contestons pas les investissements de mise en sécurité routière mais l’appui aux nouveaux ouvrages qui, tels le contournement Est de Rouen, ajouteront du trafic au trafic, du CO2 au CO2.

Le faible niveau d’investissement sur les milieux naturels est un indicateur qui dit mieux que tous nos discours à quel point les clignotants allumés par les scientifiques et par la société civile sur l’évolution  alarmante de la biodiversité, échappent au champ de vision de la tour de contrôle qui gouverne les politiques régionales. J’en veux pour preuve les coups de rabots successifs qui frappent les modestes subventions de la Région aux réseaux associatifs sans lesquels la connaissance des phénomènes reculerait et la sensibilisation et l’éducation à l’environnement n’existerait pas.

Monsieur le Président, une étude IFOP/WWF publiée il y a quelques jours nous a apporté une bonne nouvelle : 93 % des Français souhaitent davantage trier leurs déchets, 88 % s’approvisionner en énergies renouvelables, 82 % plus souvent utiliser les transports en commun, aller à vélo, marcher, 78 % prendre moins souvent l’avion, 69 % manger moins de viande… Ils sont en avance sur les acteurs publics.

Un certain nombre des actions inscrites dans la mission « Région des énergies » constituent des points d’appui pour avancer. Je pense au plan « Normandie Bâtiments Durable », à l’AMI « Territoires 100 % renouvelables », au soutien aux EMR, au bois énergie, au biogaz, au solaire, au stockage de l’énergie, et même au plan Normandie Hydrogène, pourvu qu’il promeuve exclusivement l’hydrogène vert, décarboné et non polluant, issu de sources renouvelables. Il reste à essaimer et à massifier.

Je vous invite à faire l’exercice d’une recherche par mot clé qui vous montrera que le mot « climat » est quasi absent du document budgétaire hors du sous chapitre que je viens d’évoquer. Qu’il soit inexistant dans les chapitres économie et transports n’est pas sans conséquences.

Le document nous apprend page 56 que la définition des modalités d’exercice du chef de filât régional climat-air-énergie normand sera une priorité pour 2018.

Je conclus donc en vous invitant à saisir cette occasion pour changer d’échelle, avec trois propositions, pour le débat et pour l’action :

  • Construire, à l’instar de l’annonce du Gouvernement, « un budget 2019 2° compatible ». C’est-à-dire un budget dont l’ensemble des actions mettra la Normandie sur une trajectoire compatible avec un réchauffement limité à moins de 2° de réchauffement d’ici 2050 ;
  • Instituer une « règle d’or » climatique opposable aux projets néfastes pour notre santé et pour le climat ;
  • Mobiliser les capacités d’investissement de la Région à l’appui des projets des Normands, citoyens et collectivités. Votre budget affiche une épargne brute de plus de 218 millions d’euros et une rare capacité de désendettement, à 2,1 années. De quoi distinguer la Normandie comme la Région qui investit massivement dans la transition écologique.