Assemblée plénière – Lundi 18 octobre 2021 – Intervention de Bastien Recher durant le débat d’orientation budgétaire
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Assemblée plénière

Lundi 18 octobre 2021

Intervention de Bastien Recher durant le débat d’orientation budgétaire

Monsieur le Président,

Madame la Vice-Présidente,

Mes cher.e.s collègues,

Je voudrais commencer par remercier mes collègues de la majorité pour les présentations qui viennent d’être faites, ainsi que les services pour les présentations en commission des finances.

Certes, si l’opposition avait la présidence de la commission des finances comme la coutume républicaine le prévoit, nous pourrions avoir des auditions plus complètes, mais je tenais à relever la qualité du travail réalisé dans ce cadre.

Ce rapport relatif aux orientations budgétaires pour 2022 que vous présentez aujourd’hui coche toutes les cases, sauf peut-être sur les ressources humaines, de ce que doit effectivement contenir un rapport d’orientations budgétaires. Vous présentez un diagnostic macro-économique global et régional, vous en tirez des enseignements sur l’évolution des recettes régionales, vous construisez un début de prévisionnel budgétaire, vous présentez les engagements pluriannuels et nous donnez les informations nécessaires au suivi de la dette régional.

L’exercice est réussi, formellement, et nous donne une bonne vision, justement de votre absence de vision.

Ce qui est important à l’occasion d’un rapport de ce type c’est justement de bien clarifier nos accords et nos désaccords. Et en l’occurrence, une fois encore je ne vous décevrai pas Monsieur le Président, si nous avons ponctuellement des accords sur le diagnostic et la situation économique régionale, nous avons des désaccords profonds, des désaccords politiques, qu’il nous revient d’exprimer distinctement et sainement.

Voilà tout l’enjeu démocratique des débats budgétaires !

  1. Ce qui caractérise, à notre sens, ces orientations budgétaire, c’est bien une politique d’austérité à peine masquée par des ambitions trompeuses en matière d’investissement  

I.1. Votre stratégie financière du mandat précédent, nous semble être totalement archaïque et inadaptée, notamment face aux crises actuelles  

En fait, pour pointer clairement ce qui nous oppose, nous récusons radicalement votre « stratégie financière » qui consiste en 4 piliers :

  • La baisse des dépenses de fonctionnement (vous aviez écrit maîtrise…) ;
  • La recherche d’au moins 200 M d’épargne brute par an ;
  • Un investissement à 568 M par an en moyenne, et à 600 M maintenant
  • Une capacité de désendettement à 5 ans puis à 6 ans

Face à la crise, vous vous êtes contentés de déplacer quelques curseurs mais vous conservez l’essentiel de cette stratégie.

Ce qu’incarne cette stratégie, c’est que finalement, vous avez décidé d’ajouter aux carcans libéraux imposés par la commission européenne et par le gouvernement actuel, votre propre carcan au niveau régional.

Donc nous affirmons notre désaccord profond avec ce cadre contraint que vous imposez à notre collectivité et donc aux Normandes et aux Normands :

  • Nous refusons le diktat libéral du pacte de Cahors ;
  • Nous refusons la contraction des dépenses de fonctionnement pour augmenter inconsidérément l’épargne brute ;
  • Nous refusons la soumission au culte austéritaire de la baisse des dépenses publics et de la réduction de la dette ;

Et à propos de ce pacte de Cahors, nous ne comprenons pas que vous refusiez d’y déroger alors même qu’il est actuellement suspendu.

On sait le chantage qui se joue au niveau européen et qui explique notamment la précipitation de l’actuel Président de la République à annoncer une réforme des retraites.

Mais pourquoi céder au même chantage de l’Etat vis-à-vis des Régions ?

En résumé, nous ne vous savions pas à ce point macroniste…

Et bien évidemment nous sommes en désaccord avec vos priorités de dépenses pour 2022.

I.2. Nous proposons une autre approche de la dette régionale

En effet, à l’inverse, nous écologistes, pensons qu’il faut profiter maintenant des prêts à des taux quasi nuls pour lancer sans attendre des plans massifs d’investissement pour adapter notre territoire normand, première région littorale de France, à l’urgence climatique.

Nous aurons l’occasion de détailler le contenu d’un tel plan mais vous en connaissez déjà les grandes lignes :

  • Investir massivement dans la rénovation énergétique des bâtiments ;
  • Lutter contre la dépendance à la voiture par le développement des transports en commun notamment ferrés ;
  • Développer massivement les ENR et préparer la sortie du nucléaire ;
  • Adapter des maintenant nos littoraux en anticipant le nécessaire déplacement des activités et des habitants…

Autant d’actions essentiels à mener dès maintenant avec des moyens adaptés et donc conséquents…

I.3. Et nous l’affirmons, des marges de manœuvre existent en plus de la mobilisation de l’emprunt régional

En complément d’un recours massif à l’emprunt dès maintenant, l’avenir de la Normandie se joue également sur la question d’une réorientation stratégique des dépenses de notre collectivité afin de transformer durablement le territoire que nous allons léguer à nos enfants.

De nombreuses dépenses sont au mieux inutiles au pire climaticides, elles constituent autant de marges de manœuvre pour mener une autre politique :

  • je pense évidemment en premier lieu aux dizaines de millions que la Région dépense, hors compétence, sur les routes,
  • mais également au soutien aux structures aéroportuaires,
  • ou encore au financement indirect de l’actuel EPR et du projet à Penly.

Autant de millions à consacrer à la transition !

I.4. Par ailleurs, nous avons de réelles interrogations sur votre présentation des crédits pluriannuels : en effet, la dynamique d’investissement affichée mérite d’être interrogée au regard du stock d’AP existant

Effectivement la lecture du document, notamment des pages 26 à 32 interroge sur la mobilisation des AP et des AE, et sur la réalité des montants votés et donc des décisions que nous prenons dans cette assemblée.

Chaque objectif stratégique est passé au crible mais avec quasiment aucune explication sur l’absence de mobilisation de ces autorisations de programme ou d’engagement. On a le détail, ligne par ligne, mais sans explication.

Ce qui est intéressant c’est de regarder les différentiels entre les catégories que vous créez dans ce rapport et l’on constate donc que sur les 4,8 MM d’engagements pluriannuels, seuls 2,7 MM sont réellement engagés et 3,7 MM affectés.

On a donc 2,1 MM de crédits qui n’ont aujourd’hui aucune existence réelle, et même, si l’on est un peu cruel, 1,1 MM qui sont du plus pur affichage.

Ce qui est également intéressant c’est de voir comment cela se répartit entre les sections de fonctionnement et d’investissement.

On a donc 1,635 MM de stock maximal en fonctionnement, pour 1,360 MM de stock intermédiaire, réellement affectés, et 1,045 MM de stock a minima donc réellement engagés.

Le montant des crédits pluriannuels de fonctionnement « affichés », vous me permettrez l’expression, se monte donc à 275 millions.

Pour ce qui concerne l’investissement, on est à 3,119 MM de stock maximal, pour 2,330 MM réellement affectés et 1,691 MM réellement engagés.

Ce qui représente donc un total de 789 millions de crédits d’investissement affichés.

En résumé, l’essentiel de ces crédits pluriannuels ni engagés, ni affectés, mais en revanche bien affichés sont des crédits d’investissement et pour un montant bien supérieur au montant total d’investissement moyen de 608 M pour la période période 2016-2020.

1,3 année d’affichage pour 5 ans de mandat, c’est beaucoup Monsieur le Président, me semble-t-il…

De là à parler d’insincérité budgétaire, il n’y a qu’un pas et nous aurons l’occasion d’y revenir plus en détail dans les travaux de la commission des finances et lors de la séance budgétaire prochaine pour laquelle nous vous demandons de bien vouloir nous communiquer un calendrier prévisionnel de la dépense d’investissement afin d’y voir plus clair entre ces trois catégories de dépenses pluriannuelles.

Autre exemple de cette façon parfois légère d’annoncer des dépenses de la collectivité, vous revenez dans ce rapport sur les 200 millions pour la santé, sortis du chapeau, au dernier moment, lors de la dernière séance plénière. Nous n’avons aucune information à ce stade sur ces 200 millions promis…

Si j’osais être un peu polémique, je dirais qu’il y a finalement du Emmanuel Macron en vous, Monsieur le Président, tant ces annonces sont à mettre en parallèle avec celle du chef de l’Etat qui manifeste un talent sans égal pour annoncer des plans de relance à plusieurs dizaines de milliards toutes les semaines en mélangeant des crédits déjà engagés et d’autres totalement fantômes…

Mais je ne le ferai pas bien entendu pour ne pas heurter Monsieur Bonnaterre.


Au contraire, je voudrais terminer ce point en saluant la prospective financière réalisée ensuite dans la partie suivante même si, force est de reconnaître que ces constructions savantes tiennent beaucoup de la science-fiction et de la volonté de communiquer sur un volume annuel de 600 millions d’euros en investissements.

  1. Pour ce qui concerne la structure actuelle du budget, nous affirmons que vos grandes orientations stratégiques mériteraient d’être revues au regard des urgences actuelles

Monsieur le Président, nous ne nous opposons pas principe.

Mais nous constatons que l’absence de vision, de prise de conscience des enjeux notamment climatiques, vous conduisent à noyer les bonnes intentions de votre budget dans le saupoudrage et l’absence de cohérence globale, et donc de réelle efficacité

Ainsi, nombreux sont les projets que nous pouvons saluer :  je pense à l’intervention de la Région en soutien au terminal de ferroutage à Cherbourg, ou encore au soutien au développement des énergies marines renouvelables dans les ports normands.

Sur ce point nous vous savons gré de ne pas céder à la démagogie de votre collègue Xavier Bertrand sur le développement de l’éolien, démagogie à contretemps d’ailleurs puisque la population des Hauts-de-France approuve ce développement à plus 70%.

De la même façon les actions engagées en faveurs de la réhabilition des centres bourgs est nécessaire pour lutter contre l’étalement urbain, et nous la soutenons.

II.1. Des objectifs stratégiques qui devraient être réinterrogés

[je laisserai mes collègues Laetitia Sanchez et Pierre-Emmanuel Hautot intervenir sur les questions de mobilité et d’éducation]

En matière de développement économique :

Nous avons dit en juillet toutes nos réserves, à la suite de la chambre régional des comptes, sur le fonctionnement de Normandie Participations et d’ADN.

La critérisation des aides aux entreprises et le renforcement des contrôles nous semblent essentiels

Comme indiqué nous souhaitons que la Région n’aide que les entreprises dont la situation nécessite une aide publique, qui créent réellement de l’emploi et dont l’objet soit en rapport avec la vision du développement de notre territoire.

D’autre part, nous vous reprochons de ne pas œuvrer suffisamment à la réorientation du tissu économique normand.

Je le disais déjà en juillet dernier : en 2020 les dépenses en faveur de l’ESS atteignent à peine 1,7 M avec une baisse de 0,4 M. Cette faiblesse de l’action régionale montre bien la nécessité d’un plan ambitieux pour soutenir le secteur.

1,7 M pour un total de 222,7 M consacré au développement en 202 : on est très loin des 11 %…

Sur la question énergétique :

Le plan Normandie durable est très clairement insuffisamment doté : 110 M pour la période 2016-2021.

Idem pour les 60 M consacrés sur la même période au développement des énergies renouvelables et à la mobilité durable : à peine 10 M par an donc…

Quand vous envisagez de trouver 200 M pour construire le contournement Est de Rouen…

En matière de soutien aux territoires normands :

Il vous reviendrait de faire appliquer les principes du SRADDET, et notamment la question de l’artificialisation, dans le cadre de la contractualisation territoriale.

  • Le rapport d’orientations budgétaires annonce une nouvelle politique contractuelle avec les territoires : nous nous en réjouissons et nous vous demandons d’associer pleinement l’opposition à l’élaboration de cette nouvelle contractualisation

 Je remarque enfin que le rapport ne mentionne pas DDay Land et j’espère en conclure que cette absence signifie un renoncement de votre part au projet

  1. Enfin, pour conclure, vous l’avez compris, nous soutenons que d’autres orientations budgétaires sont possibles pour la Normandie et les Normand.e.s

III.1. Cesser la logique d’externalisation et réarmer l’administration régionale

Pour mener des politiques ambitieuses, il faut renforcer l’administration régionale et non l’affaiblir.

Nous vous demandons donc de cesser avec les externalisations comme avec ADN.

Par ailleurs, nous nous étonnons de certains éléments présentés dans ce rapport sur les ressources humaines de la Région :

  • Pourquoi 4551 postes affichés pour seulement 4433 postes pourvus ? quid de ces 128 postes à pourvoir ?
  • Nous constatons un recours accru aux contractuels dans le même temps : ils sont 800 environ en ce moment, soit plus de 15 % du volume total des effectifs. Quels sont vos intentions en la matière pour la suite ?
  • Enfin, contrairement à ce que demande l’article L2312-1 du CGCT, nous ne trouvons pas d’information sur l’évolution des rémunérations, à l’exception de ce qu’impose les mesures nationales sur la revalorisation indiciaire et la réduction des durées d’avancement pour les 2 premiers grades de la catégorie C.

Ces questions appellent des réponses de votre part, Monsieur le Président.

III.2. Mettre en place la règle d’or climatique : un euro public utile est un euro consacré à la transition du territoire

Je n’évoquerai à ce sujet que la nécessité impérieuse de réorienter rapidement le soutien au développement économique, à la fois sur la base des pistes évoquées précédemment, mais également sur les grands sujets d’actualité qui engagent la Région pour l’avenir.

Nous vous demandons ainsi d’engager la Région, aux côtés de la Métropole de Rouen, pour la sauvegarde du site de la Chapelle Darblay, afin de ne pas laisser détruire ce patrimoine industriel pourtant parfaitement adapté aux exigences actuelles de transition écologique.

Nous y reviendrons plus complètement lors de la séance budgétaire.

III.3. Préparer le territoire normand et sa population

Cette notion d’anticipation est essentielle.

Nous vous l’avons déjà dit, et nous vous le répétons, nous vous demandons de mettre en place un plan d’adaptation global face au changement climatique.

Il s’agit à la fois de protéger et de préparer les zones littorales et les zones estuariennes à la montée des eaux, en engageant dès maintenant des crédits conséquents.

Enfin, nous vous demandons également d’inscrire la Normandie, dans la continuité de son histoire et de sa tradition d’accueil, de brassage, de mixité.

Vous en avez fait l’un des sujets de Normandie pour la paix : nous le savons l’accroissement des migrations économiques et climatiques est inéluctable. Notre territoire accueille déjà des migrants qui cherchent à passer en Angleterre. Il nous faut leur assurer des conditions de vie simplement dignes comme nous l’écrivons dans notre question écrite.

Afficher des photos de réfugiés dans le Parc d’Ornano c’est bien, intervenir en faveur de conditions d’accueil dignes de ces mêmes réfugiés c’est mieux.

Nous attendons donc des réponses complètes aux questions qui viennent d’être posées et vous pouvez compter sur nous, Monsieur le Président, pour être constructif mais clair et mordant à chaque fois que cela nous semblera nécessaire.


Je vous remercie.