Assemblée plénière Région Normandie – 3 avril 2017 – Discours de politique générale de Caroline Amiel
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Assemblée plénière Région Normandie – 3 avril 2017

 

Débat de politique générale

 

Intervention de Caroline AMIEL, conseillère régionale Normandie Écologie – EELV

 

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, mes chers collègues,

Nous ne vous parlerons pas de l’actualité des affaires, des assistés parlementaires dans les parlements européens et français, des mises en examen et de la course à l’immunité présidentielle qui font le fiel de la campagne présidentielle. Nous nous adressons à vous au nom des générations futures…

Entre les deux tristes anniversaires des accidents de Fukushima le 11 mars 2011 et de Tchernobyl le 26 avril 1986, dans ce monde trépidant d’actualités plus ou moins importantes, nous avons un petit créneau de quelques semaines pour parler de nucléaire et tenter de nous faire entendre et de faire avancer le débat autour de ce choix énergétique et de ses enjeux.

C’est dans ce contexte que Didier Peralta et moi-même sommes partis représenter la Région au sein d’une délégation des membres des Clis du Cotentin à Fukushima. Vous n’avez pas souhaité, Monsieur le Président, que nous ayons un temps spécifique pour en parler malgré notre demande, pas plus que le Conseil Départemental de la Manche en la personne de Valérie Nouvel ne répond à ma demande de retour d’expérience aux populations du Cotentin. Je m’interroge sur cette attitude.

Pourtant, le but de ce voyage d’étude payé par le contribuable à 25 membres des Clis de la Manche était louable. Il s’agissait de rencontrer des acteurs de terrain : agriculteurs, pêcheurs, médecins et pharmaciens, responsables politiques, etc. afin de nourrir la réflexion des Clis sur le travail de rédaction en cours du livre blanc de la sécurité des installations nucléaires du Cotentin. Alors pourquoi se taire au retour ?

Peut-être parce que depuis Fukushima, il est admis que l’accident en France est possible ! Autant après Tchernobyl, le discours très minimisé a consisté à dire que le nucléaire français ne pouvait en aucun cas être comparé au nucléaire soviétique… Mais que les japonais réputés pour leur maîtrise et leur haute technologie aient à subir et à gérer un accident nucléaire, cela a vraiment interpellé le monde nucléaire. Depuis, il est admis que la probabilité d’un prochain accident de l’envergure de Tchernobyl ou Fukushima est passée de 1 tous les 250 ans à 1 tous les 10 ans.

Il y a 400 réacteurs dans le monde. Avec ces 58 installations vieilles de plus de 30 ans, la France en concentre 15 %… Nous nous devons donc de ne pas nous voiler la face ! Il y a statistiquement de fortes chances que l’ un des prochains soit pour nous !

Et ne nous parlez plus de la sacro-sainte qualité de la sécurité nucléaire française ! Avec les malfaçons de l’usine du Creusot récemment mises à jour et qui dureraient depuis les années 60, Areva elle-même reconnaît que des pièces construites avec l’acier fragilisé seraient réparties sur cinquante installations françaises !  Pas plus tard que la semaine dernière, un document interne de l’autorité nucléaire britannique (Office for Nuclear Regulation) dévoilé par l’agence Reuters, faisait état de son inquiétude sur la qualité du contrôle d’EDF sur son fournisseur Areva censé fabriquer les réacteurs de la centrale d’Hinkley Point (projet qui par ailleurs, de l’avis de nombreux spécialistes, achèverait de couler EDF).

Le portrait du monde nucléaire n’est donc pas bien reluisant ces derniers temps. Jeudi dernier, c’est le premier fabricant de réacteurs nucléaires au monde, Westinghouse, filiale de Toshiba qui a annoncé sa mise en faillite… La quasi-totalité du parc de centrales françaises est construite sous licence Westinghouse, 500 personnes travaillaient encore en France pour cette entreprise. Une actualité de plus sur la faillite de la filière nucléaire, après celle de la quasi-faillite d’Areva, que nous soutenons à bout de bras par nos subventions et l’argent du contribuable. EDF est tout aussi subventionné et recapitalisé par l’État pour tenir ses engagements à court terme. Il lui a fallu racheter la branche Areva NP.

Ce sera encore au contribuable français d’assumer l’énorme perte de l’EPR de Finlande. Vendu par Areva près de 3 milliards, il en coûtera plus de 10. Tout comme l’EPR construit par EDF à Flamanville, un projet initialement prévu à 3,3 milliards et dont la facture va tripler. Le contribuable français paie et paiera. Sans compter les défauts de fabrication, les falsifications d’Areva au Creusot, une cuve dont la résilience n’est que de 36 % a été installée dans l’EPR de Flamanville.

L’actualité, c’est qu’EDF et Areva savaient que les forges du Creusot n’étaient pas fiables, dès 2005… La cuve défaillante a pourtant été forgée, installée, et malgré les risques, commencent des phases de tests, à l’eau, et à température ambiante.

Les générateurs de vapeur connaissent également des défauts que l’ASN qualifie de génériques : les cuves et les couvercles ne répondent même pas aux normes d’avant 2005. Vous connaissez tous les générateurs de vapeur, c’est cette immense pièce de 465 tonnes qui s’est effondrée dans le bâtiment du réacteur n° 2 de Paluel. Accident qui a permis aux inspecteurs de découvrir l’état de corrosion du bâtiment et des installations dangereuses menaçant la piscine de stockage de combustible nucléaire. Aujourd’hui, trois des huit réacteurs normands sont à l’arrêt pour causes d’incidents… N’est-ce pas une preuve de la fragilité des installations ?

Les mots prononcés par le président de l’ASN, Pierre-Franck Chevet, lors de ses vœux en janvier dernier résonnent encore à nos oreilles : « Concernant les installations nucléaires, il y a un an, le contexte était préoccupant à moyen terme. Si je devais résumer ma pensée aujourd’hui, je dirais que le contexte est préoccupant. J’enlève ‘‘à moyen terme’’ ».

En Normandie, nous abritons aussi l’usine de traitement de combustible usagé d’Areva. Le combustible de 100 cœurs nucléaires y refroidit… Des déchets ultimes qui resteront radioactifs et auxquels personne ne pourra être exposé avant au moins 100 000 ans. Pensez : il y a à peine plus de deux mille ans, Jules César colonisait la Gaule… C’est 50 fois le temps de l’histoire de la France qu’il nous faudrait confiner ces déchets !

L’usine de traitement de la Hague n’est même pas protégée d’un accident ou d’un attentat, encore moins d’un acte de guerre. Quid du retour d’expérience du 11 septembre, alors que la chute d’un avion suicide est un des risques les plus évoqués ? Selon les estimations, entre 6 et 66 fois Tchernobyl en matière de césium serait répandu dans l’atmosphère. Qu’espère-t-on ? Qu’avec un vent d’est qui soufflerait vers la mer, le nuage contourne nos frontières, comme lors de l’accident de Tchernobyl ?

En Normandie, quasiment toutes les centrales ont le même âge. Repousser leur démantèlement, c’est repousser le problème à plus tard. C’est l’héritage que nous laisserons. Avec plus de problèmes liés au vieillissement, à l’accumulation des déchets les plus dangereux du monde, ingérables dans le temps et sans solution du point de vue de la technologie comme de la science fondamentale.

Nous sommes dans l’impasse, nous devons sortir du nucléaire, comme le font tous les pays d’Europe et du monde. Restent la Corée, qui n’exporte plus, la Chine qui produit pour elle-même, et la Russie qui engrange des promesses, mais peine à les concrétiser. Le nucléaire est en déclin inexorable : trop cher, trop dangereux, trop de déchets. Et c’est à nos voisins qui quittent l’Europe que nous allons vendre deux réacteurs EPR, un investissement de 24 milliards d’euros, en très grande partie supporté pas EDF, mais garanti par l’État, et donc garanti par le contribuable. Certes, le prix du kilowatt/heure est garanti, très cher, par le gouvernement Anglais. Mais pas le volume. Le risque de faillite d’EDF est évoqué. Thomas Piquemal,le directeur financier, a décidé de jeter l’éponge et de démissionner en signe de protestation. Le risque de faillite est lié à la construction de la centrale, dont il faudra changer le design à la demande de l’Angleterre, pour quel coût ? Mais aussi à l’exploitation, car EDF avait acquis British Energy et ses centrales en fin de vie pour les remplacer par des EPR. Qui paiera ? Le contribuable français. Les investissements d’EDF à l’étranger s’avèrent ruineux. Sans parler de ceux d’Areva.

Face à tous ces déboires et tous les bouillons que nous devons ingurgiter, le fleuron national EDF n’a d’autre choix que de supprimer des postes par milliers, les travailleurs de Flamanville en font les frais, eux qui ont saisi le CHSCT craignant pour la qualité de la sécurité de l’installation. Quelle sécurité avec moins d’agents quand les installations sont vieillissantes et fragiles ?

Nous savons qu’en cas d’accident, aucun d’entre nous ne sera liquidateur. Saurons-nous assumer les morts, un territoire devenu inhabitable, l’exode de populations, le coût de l’accident, mais aussi le coût du black-out comme le vit le Japon dans la difficulté ? Nous aurions aussi nos propres migrants, et nous serons dans le noir.

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. » Et accessoirement de notre territoire. De notre économie, de notre avenir industriel, de notre environnement et de notre santé. Tout cela payé par les contribuables actuels et payé plus cher encore par les générations futures. EDF a reporté le démantèlement au XXIIème siècle. Et les déchets ? Quels déchets ?

L’urgence pour la Normandie, c’est de mettre en sécurité l’usine de traitement de la Hague, pleine à craquer, vieillissante et susceptible d’attaque terroriste. La priorité, c’est la sortie du nucléaire, trop cher, trop dangereux, trop polluant, et de le remplacer par les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique.

C’est pourquoi nous sommes opposés à la subvention du lobby nucléaire, dont Areva, à hauteur de plus de 1,5 millions d’euros, qui sera payé par le contribuable normand, qui paie déjà la débâcle d’Areva comme contribuable français. Au lieu de les investir dans l’efficacité énergétique et les ENR.

Faut-il alors s’acharner à investir dans cette énergie obsolète ?

Il en va de la responsabilité des politiques que nous sommes de mener une réflexion sur le sujet et de prendre les décisions qui s’imposent.

Alors là, je vous entends déjà me dire : le choix énergétique c’est une politique nationale ! Les régions n’ont pas la main. Ce serait trop facile… Si votre réponse, Monsieur le Président, est de faire voter en commission permanente une aide de 500 000 euros à la filière nucléaire en Normandie, ce n’est pas anodin ! Bien sûr il y a dans le lot, le soutien à l’hadronthérapie pour calmer les antinucléaires qui vous fatiguent… Mais nous ne sommes pas dupes, cette manière de présenter les choses était déjà la même malheureusement lors du dernier mandat… On fait un mélange des différents projets, de manière à soutenir l’ensemble et à ne pas avoir à choisir entre les projets qui impactent positivement les populations et les autres qui les mettent en danger. Si les politiques ne savent pas faire ces différences, sont-ils légitimes à décider de sujets aussi graves ? Car derrière le nucléaire, il y a des vies en dangers… Risques d’accident, j’ en ai parlé, risque de contamination des populations via des rejets plus ou moins bien maîtrisés – et l’actualité régionale ici fait écho, avec la découverte grâce à l’Association pour le contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest de pollutions à l’américium, au strontium et au plutonium avérées dans le Ru des Landes au nord-ouest de l’usine de la Hague… Et probablement vieille de 30 ou 40 ans ! Pollution cachée ou a minima mal recherchée par l’exploitant. Risques pour les travailleurs, mais ceux-là sont sans doute les mieux étudiés et les mieux maîtrisés, et c’est fort heureux pour eux, afin de servir de caution à l’ensemble de la filière. Risques de contamination des populations via le stockage des déchets ingérables que cette industrie génère.

Vous le savez sans doute, de l’avis des paléontologues nous sommes entrés dans l’ère de l’anthropocène, et cette ère à ceci de particulier que pour la marquer aux temps géologiques on s’appuiera dans les millénaires à venir (s’ils adviennent) sur les déchets créés par l’Homme. Le fossile minéral est bien dépassé ! Vive les concentrations de déchets en métaux lourds, radionucléides et autres xénobiotiques. Alors, de grâce, sortons de notre petite vision étriquée à court terme pour aborder les impacts du nucléaire.

Qu’avons-nous vu à Fukushima ?

Une région de 14 000 km2 touchée il y a six ans par un tremblement de terre entraînant un tsunami lui-même touchant une centrale de quatre réacteurs dont trois, vous le savez, ont été lourdement endommagés. Des explosions dues à l’hydrogène avec un nuage radioactif contenant plus d’une dizaine de radionucléides qui s’est échappé et a été entraîné vers le nord-est de la centrale jusqu’ à 80 km. Il a même atteint Tokyo au sud quelques jours plus tard mais ça il vaut mieux l’oublier : l’évacuation de cette mégapole étant inenvisageable.

Aujourd’hui, dans la province de Fukushima on ne retrouve plus de séquelles du tremblement de terre ou du tsunami. Ce qui pouvait être reconstruit l’a été. Les seules séquelles, et non les moindres, sont celles de l’accident nucléaire et elles ne sont pas prêtes de s’effacer : 6 à 7% de la surface du Japon est contaminée et a nécessité un traitement (24 000 km2 ayant reçu plus de 0,23 microSv/ h à la charge des 96 communes touchées et 1140 km2 du rayon des 20 km ayant reçues plus de 20 mSv/h à la charge du gouvernement). Au total ce sont 20 millions de m3 de terre contaminée qu’il faut stoker à long terme. Aujourd’hui ce stockage est provisoire, disséminé dans le rayon des 60 km autour de la centrale sous forme de monticules bâchés à perte de vue, sur les terres agricoles incultivables. Certains de ces stockages jouxtent les habitations des villages pour lesquels la consigne d’évacuation vient d’être levée.

Mais que se passe-t-il en réalité ?

Dans toutes les communes où nous nous sommes rendus le constat était le même : au bout de six ans, les familles déplacées ont refait leur vie ailleurs. Ceux qui s’apprêtent à revenir sont les plus âgés et ils ne représentent au mieux que 30 % de la population initiale. Que peut devenir un village, une ville dont la population est constituée d’hommes et de quelques femmes de plus de 50 ans séparés de leurs enfants et petits-enfants ? Que retrouvent-ils dans ce village quitté brutalement il y a six ans ? Une maison sans vie et non entretenue, un jardin dont la totalité de la végétation a été arrachée dans un village où tout le lien social est à recréer à grand coup de subventions nationales ou de l’exploitant Tepco ! Même le maire de Itate, le plus minimaliste quant aux conséquences de l’accident nous a avoué : « mon conseil pour vous préparer au mieux à gérer un accident : agrandissez vos routes pour pouvoir fuir au plus vite » ! Il tente désespérément aujourd’hui de faire revenir sa population mais ne prévoit le retour que de 10 % des enfants pour lesquels il a construit une maison de la culture pharaonique, et néanmoins magnifique, avec vue sur les bâches de terre contaminée…

Alors projetons-nous…. 80 km autour de la Hague c’est ? La quasi-totalité du Cotentin. Et que dire de Dieppe ? À Fukushima, pêche et agriculture n’ont repris qu’à hauteur de 8 % au bout de six ans et souffrent d’un boycott très fort des autres régions japonaises, de Taïwan et de la Corée du Nord, leurs principaux clients avant l’accident. L’économie est moribonde ! Les forêts de Fukushima, elles, ne peuvent être décontaminées (ce serait la même chose pour les marais…) et devront être surveillées pendant 200 ans. Leur fréquentation est impossible et elles restent source de contamination pour les villages alentours en cas de vents dominants.

Le démantèlement des réacteurs prendra 30 à 40 ans… Si l’on trouve les solutions technologiques pour accéder aux 880 tonnes de coriom des réacteurs en contact avec la nappe phréatique et qui continuent donc à polluer. Le dernier robot envoyé en exploration a été mis hors service en moins de deux heures par les rayonnements 650 sieverts mortels. Quant à la gestion des combustibles usés, elle est évaluée à 10 000 ans. Un rayon de 10 km autour de la centrale ne sera jamais ré-habité et servira vraisemblablement de décharge même si le gouvernement japonais a promis le contraire.

Nous étions 25 dans la délégation, nous avons vu les mêmes choses, mais le prisme économique de certains est si fort, leur emprisonnement dans le giron du nucléaire si puissant, qu’ils les entraînent à minimiser les conséquences sanitaires et sociétales de l’accident de 2011.

Mauvaise foi, déni et mensonges ont malheureusement jalonné notre voyage. C’est vraiment regrettable et il m’a fallu bien souvent me raccrocher à la seule chose que nous avions tous en commun : le souci de la sécurité des installations normandes et remballer ma colère. Car personnellement, mon engagement en tant qu’élue et scientifique s’accompagne d’un fort attachement au principe de responsabilité. Aussi, me permettrez-vous Monsieur le Président de vous offrir l’ouvrage de Hans Jonas qui décrit les fondements des principes d’une nouvelle éthique technologique. Puisse cette lecture vous rappeler que le devoir d’un élu est avant tout de protéger au mieux les citoyens dont il a la charge. Surtout quand d’autres solutions existent ! Différents scénarios proposent de sortir du nucléaire en une génération. Les Japonais en sont sortis en un jour !