Assemblée plénière Région Normandie – 18 mars 2019 – Audition du recteur – Interventions de Laëtitia Sanchez et de Caroline Amiel sur le pacte régional des innovations pour la réussite des jeunes normands
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Assemblée plénière Région Normandie – 18 mars 2019

Audition du recteur

Délibération 1 – Pour une Normandie Apprenante : Pacte régional des innovations pour la réussite des jeunes normands

Interventions de Laëtitia Sanchez, présidente du groupe Normandie Ecologie EELV, et de Caroline Amiel, conseillère régionale Normandie Ecologie EELV

Intervention de Laëtitia Sanchez :

Monsieur le Recteur,

Je m’associe au chœur politique de mes collègues en partageant les inquiétudes exprimées sur la réforme du lycée et la fusion des académies de Caen et Rouen.

Je salue l’exposé du projet pédagogique qui vient de nous être fait, avec des termes nobles comme « réussite pour tous », « ambition », « réduction des inégalités ».

Mais la réalité du projet me semble bien différente.

Vous avez visité ce matin, non pas un lycée, comme le lycée Marc Bloch de Val de Reuil, dont les professeurs principaux viennent de démissionner pour protester contre la Réforme du lycée. Non, dans le cadre du lancement de la 9ème semaine de l’Industrie dans l’Eure, en compagnie des Ministres de l’Education et de l’Economie, vous avez visité l’entreprise Schneider Electric du Vaudreuil.

Le site du Vaudreuil a été labellisé en 2018 « Vitrine Industrie du Futur », avec des lignes d’assemblage de contacteurs électriques 100% automatisées, une utilisation des clouds pour une maintenance prédictive, de la robotique, de la cybersécurité, pour augmenter la productivité, dans un contexte de production haute cadence, afin d’améliorer la compétitivité et la relation client.

L’Alliance « Industrie du Futur » salue l’importance accordée à la dimension humaine tout au long du projet, avec un pilotage du changement et son manager dédié.

C’est la vitrine qu’on présente au Ministre de l’Éducation nationale, et le modèle d’emplois auxquels devront former les lycées du futur. Des emplois au service d’une production automatisée : quelques ingénieurs et techniciens, des managers, et surtout des emplois de manutention.

Si c’est le prix de la relocalisation par l’augmentation de la compétitivité, est-ce pour autant un projet éducatif que de s’aligner sur les besoins des entreprises locales ?

C’est bien ce que l’on retrouve dans le pacte « Pour une Normandie apprenante », avec la mise en cohérence de l’offre de formation avec les bassins d’emplois : alors même qu’on nous explique que les besoins des entreprises changent très vite ; qu’ils sont en « évolution permanente »…

Dans ce monde de l’entreprise où les besoins en termes de compétences sont en évolution permanente, et où les termes de mobilité, d’agilité, de flexibilité, d’employabilité sont sources de performance économique et de réponse rapide au marché : est-ce le temps et l’espace qui correspond aux besoins de formation et aux projets personnels de jeunes également très mobiles après leurs études ?

On lit par exemple p.13 du rapport : « L’émergence de nouvelles compétences dans les métiers, la rapidité de l’évolution des besoins en compétences des entreprises, le nécessaire besoin de valoriser les formations peu attractives mais à forte employabilité requièrent de réviser le processus d’élaboration de la carte des formations, dans le cadre de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel et en lien avec le Contrat de plan régional de développement de la formation (CPRDFOP). »

Comme pour la réforme des lycées : il y aura plus de liberté, mais à condition qu’elle aboutisse à ce que les élèves fassent les choix correspondant aux besoins d’employabilité des entreprises locales ! Quitte à diriger les élèves vers des formations et des emplois peu attractifs.

Plus de liberté pour les lycées et les entreprises – mais où est la liberté des étudiants en termes de choix, et qu’est devenue l’égalité républicaine et territoriale ?

Au milieu du XIXe siècle, le paternalisme industriel fidélisait les ouvriers en offrant la formation adaptée à l’entreprise et des logements. L’ouvrier était dépendant de son entre-prise.

Au XXIe siècle, ce serait l’Éducation nationale qui prendrait le relais de ce paternalisme pour proposer elle-même la formation, même peu attractive, qui viendra les fixer sur leur bassin d’emplois et dans leur condition sociale.

Cette hypocrisie, qu’on aime en France appeler « Réforme », les enseignants la rejettent, parce que ce n’est pas leur mission de service public d’enseignement, d’éducation et d’accès de chacun aux savoirs que d’accompagner les entreprises du secteur au management du changement, ou l’employabilité des étudiants selon de stricts besoins industriels locaux.

Les parents aussi la rejettent (et pas seulement parce que les associations se retrouvent avec des manuels scolaires d’occasion invendables sur les bras et des chèques de caution à rendre). Quant aux élèves, ils ne la comprennent pas et s’en alarment.

L’éducation nationale n’a pas vocation à être l’antichambre de Pôle emploi, encore moins une agence de recrutement pour les entreprises du secteur. Sa mission, c’est de propulser chaque jeune aussi loin qu’il le peut et le veut, dans la direction qu’il souhaite, en accord avec la famille. Pas de fournir des quotas, d’ingénieurs, de commerciaux et de manutentionnaires selon les besoins à court terme des entreprises.

 

Intervention de Caroline Amiel :

Enfin, un mot sur un autre sujet qui nous paraît primordial.

Nous avons face à nous la génération de nos enfants qui se lève, qui se met en grève, et qui nous interpelle : « Donnez-nous un futur ! » « En 2050, vous serez morts, pas nous ! » pouvait-on lire sur les panneaux des centaines de milliers de jeunes rassemblés dans 123 pays vendredi dernier, pour interpeller les adultes responsables de leur avenir.

Ce qu’ils revendiquent, ce n’est ni votre lycée du futur, ni votre usine du futur, c’est un futur tout court !

Puisque la Région est désormais chef de file pour le climat, et puisque vous appelez de vos vœux l’engagement de la Région et de l’académie de Normandie à « coopérer pour favoriser la plus grande cohérence entre projet pédagogique, dynamique territoriale et innovation, pour la plus grande réussite des jeunes normands. »

Nous vous demandons à ce titre de soutenir auprès du Ministre M. Blanquer l’appel des scientifiques, des enseignants et des parents qui, avec Valérie Masson-Delmotte, Gilles Bœuf, Jean Jouzel et bien d’autres, demandent que la question climatique ne soit pas gommée des nouveaux programmes  et nous vous remettons cet appel ;

Ces chercheurs de renom s’inquiètent de la part congrue donnée dans les programme du collège comme du lycée aux thématiques majeures que sont les changements climatiques, l’effondrement de la biodiversité, et sans que soient même discutée l’origine anthropique de ces phénomènes. Et pourtant, alors que l’intégration des dimensions sociales, économiques et environnementales s’affirme comme un enjeu central pour les citoyens, les entreprises et les collectivités, à l’ère de la transition écologique et solidaire.

Nous comptons sur vous Monsieur le Recteur pour porter cet appel au sein du ministère que vous représentez dans notre région, au nom des milliers de jeunes normands en attente d’avenir durable.