Assemblée plénière Région Normandie – 16 octobre 2017 – Intervention de Laetitia Sanchez sur le financement de la liaison A28-A13 (contournement Est de Rouen)
Partager

Assemblée plénière Région Normandie – 16 octobre 2017

 

Délibération n°  3 : Financement de la liaison A28-A13 (contournement Est de Rouen)


Intervention de Laetitia SANCHEZ, présidente et conseillère régionale Normandie Écologie – EELV

 

Dans le JDD du 19 septembre dernier, Élisabeth Borne, la Ministre des Transports, a expliqué qu’elle souhaitait que l’État investisse d’abord sur le «réseau non concédé», celui qui n’est pas géré par les sociétés autoroutières et que l’impasse budgétaire où se trouve l’État le mène à donner la priorité à l’entretien et à la maintenance des réseaux existants. »

L’argent public ne doit pas aller aux transports privés, il va aux transports publics !

L’Avis de l’Autorité environnementale de février 2016 alertait sur le trafic induit par une nouvelle autoroute, qui générerait 50.000 tonnes de CO2 supplémentaires par an.

Cette augmentation des émissions carbone est incompatible avec la responsabilité d’une région chef de file pour le climat, ainsi qu’avec la feuille de route fixée par le ministre de la transition écologique et solidaire pour une stratégie bas carbone.

Vous affichez dans le rapport sur la situation de la Région Normandie en matière de Développement Durable, votre engagement à réduire les émissions de gaz à effet de serre, au regard de l’enjeu climatique « enjeu majeur de notre siècle » (page 9 du rapport). Vous rappelez page 7 du même rapport la compétence exclusive de la Région en matière de transports, énumérant : le transport ferroviaire, le bus, le vélo, le covoiturage. Je vous cite : « Elle mène une politique de transports publics ambitieuse au service des personnes, de l’économie et développe une complémentarité des modes de déplacement favorisant les moins polluants. La Région priorise trois dimensions dans le domaine des transports : l’accessibilité, le service public et le développement durable. »

Vous nous payez de belles paroles, car la vérité est dans le budget et le rappel des sommes votées en investissement le 20 septembre 2017 : 152M€ au titre de la mobilité pour le développement du réseau routier (page 23 du DOB) sur un montant total 787,5M€ d’autorisations de programme, soit près de 20% du total des investissements pour les routes.

Autoroute, schéma routier d’intérêt régional : c’est la première pierre du futur SRADDET. Excusez-nous de ne pas vous en féliciter !

Pour en revenir à l’autoroute dont il est question dans ce rapport, vous en avez vous-même souligné l’intérêt européen, parlant d’un « axe Copenhague-Lisbonne ». Directement concurrent de l’A28 qu’il longe, et qui est également qualifiée d’axe Calais-Bayonne. Un axe en berne, faute de volonté politique d’obliger les poids-lourds à l’emprunter.

La Région Normandie augmenterait sa part du financement à hauteur de 157 millions d’euros, soit 64% du financement des collectivités, pour compenser notamment le désengagement financier du département de l’Eure.

Vous avez vanté un intérêt européen, et francilien. À aucun moment cependant n’est mentionné un quelconque intérêt régional de l’infrastructure : quel bénéfice tirerait un habitant de Cherbourg, de Lisieux ou d’Avranches, ou même de Louviers, de cette autoroute située à l’Est de Rouen ?

L’A28 concurrente est jugée trop chère par les usagers – notamment les professionnels qui l’évitent pour utiliser massivement la départementale RD438.

L’autoroute A28-A13-A154 achèverait en fait le grand contournement Ouest de Paris prévu il y a plusieurs décennies, et auquel on a préféré un contournement plus lointain : 200 km au lieu de 100 km. L’A28-A13 n’est pas un contournement de Rouen, mais celui de Paris.

Les concessionnaires autoroutiers, comme les CCI, visent à s’approprier les routes nationales, comme la RN 154 entre Orléans et Val-de-Reuil. Soi-disant pour assurer la vitesse limite de 130 km/h. C’est une mainmise sur nos routes, au bénéfice de la rente privée.

Nous le refusons : c’est le contribuable qui a payé ces routes, pour assurer la sécurité des habitants et chasser les camions des centre-villes et centre-bourgs. Ils y reviendront pour la gratuité de la route.

Chef de file pour le climat, Autorité organisatrice des Transports, la collectivité régionale n’a pas à sa charge la compétence des routes.

Par ailleurs, le budget de la Région a vu baisser ses dotations par l’État, comme toutes les collectivités locales – tout en prenant de nouvelles responsabilités à sa charge, telle que la reprise de la gestion des trains intercités, qui coûtera chaque année 35 millions d’euros aux contribuables normands.

Quelle somme annuelle la Région prévoit-elle d’inscrire à son budget pour financer cet engagement de 157 millions d’euros au profit d’une autoroute ?

Si l’engagement financier initial de la Région intervient comme une dépense d’investissement, ce que peut lui permettre une certaine capacité d’endettement, que se passera-t-il si la concession s’avère déficitaire à l’exploitation – du fait notamment du péage et de chiffres de trafic surévalués ? La Région devra-t-elle participer au fonctionnement de l’infrastructure ? Ou bien ce seront les départements, qui en ont, eux, la compétence, de financer ces subventions d’équilibre ?

Citons le dossier du Débat public de 2005 (page 96) : « La mise à péage du contournement Est aurait pour effet direct de diminuer son attractivité et donc de réduire ses effets : environ 40 % du trafic de transit qui aurait emprunté le contournement gratuit n’emprunterait pas un contournement payant. » C’est toujours d’actualité, puisque les chiffres de 2005 ont été repris en 2014.

Avec un péage trop cher – 10 cts du km pour 41 km d’autoroute pour l’instant – pour l’instant ! -, il est à craindre que le futur concessionnaire constate rapidement un déséquilibre de la concession et se retourne vers les pouvoirs publics pour pallier le déficit, comme cela a pu être constaté par ailleurs (cf A65 Pau-Langon). La contribution publique annuelle complémentaire pourrait ainsi s’élever à 10 millions d’euros par an, ce qui serait particulièrement scandaleux en période d’argent public rare. Les Normands pourraient être ainsi amenés à payer trois fois :

  • une première dans le cadre du financement initial,
  • une seconde en tant qu’usagers de l’infrastructure,
  • une troisième au travers de leurs impôts pour participer à combler le déficit,
  • et même bien plus avec les effets sur la santé, la périurbanisation et la congestion urbaine augmentée à terme, l’inefficacité induite des routes gratuites financées par les contribuables, et bien sûr les pertes de terres agricoles, de forêts et de paysages.

Les seuls bénéficiaires de cette opération seraient le concessionnaire – la rente sur les deniers publics – et ceux qu’il rétribue.

Enfin, cette adresse des 3 collectivités au Premier Ministre est intervenue à quelques jours de l’ouverture des Assises de la Mobilité par Élisabeth Borne, Ministre déléguée aux transports, sous la tutelle du Ministre d’État à la transition écologique et solidaire, Monsieur Nicolas Hulot.

Le cap clairement fixé par les premières déclarations de la Ministre des Transports est celui d’une pause sur les grands projets, au profit d’une priorité donnée aux transports du quotidien et à la rénovation de l’existant – qui souffre cruellement d’un manque d’investissement depuis de nombreuses années, au profit de grands projets de type LGV. Et oui ! Comme la LNPN.

Les nouveaux projets d’infrastructures sont à ce titre gelés jusqu’à la présentation de la future loi d’orientation des mobilités, qui interviendra début 2018 et qui fixera « une vision à 10 ans et une programmation sur 5 ans » (Élisabeth Borne, AFP – 7 septembre 2017).

Elle intervient au moment où le Canal Seine Nord Europe, écarté par l’ex-maire du Havre devenu Premier Ministre, revient sur le haut de la liste des priorités. Il est défendu, financé et garanti par la Région Hauts-de-France.

Nous notons au passage qu’au moment où l’on arrête les projets inutiles ou trop coûteux, chaque région, chaque collectivité veut placer son projet en haut de pile.

Cet axe fluvial serait concurrentiel à l’autoroute A28-A13(-A154). Le Canal Seine Nord Europe serait financé pour moitié par l’Europe. L’Europe ne participe pas au financement de l’A28-A13 – pourtant d’intérêt européen selon ses promoteurs ! Cette autoroute serait rendue totalement inutile, coincée entre le transport par camions avec l’A28 et le transport fluvial et l’intermodalité permise par le canal Seine Nord. Sans rentabilité possible.

Mais notre priorité ne devrait pas être de laisser notre territoire être traversé par des camions qui vont de Rotterdam ou d’Anvers en Espagne. Ils peuvent déjà le faire via l’A28 déserte.

C’est bien de fournir une desserte de Paris par les ports de Rouen et du Havre. HAROPA, ça vous parle ?

86% des trafics en provenance des ports de Rouen, Le Havre et Dunkerque s’effectuent par camions. 86% de poids-lourds qui longent la Seine, un des fleuves à plus grand gabarit d’Europe.

Et nous nous voulons territoire ferré : en fait, tout par camions.

C’est sur le rail et sur le fleuve que vous trouverez des solutions, je suis sûre que vous les connaissez. Pas sur la route, pas sur l’axe nord-sud, mais sur l’axe Seine Le Havre-Rouen-Paris, avant qu’Anvers et Amsterdam ne nous aient arraché le marché de façon vertueuse et moins polluante : le fluvial et le rail. C’est là notre urgence !

Pouvons-nous tolérer, dans un moment où l’argent public est si rare, d’envisager de construire des axes si concurrents, l’un plus vertueux pour le climat, l’autre nuisible au climat, faisant la part belle au tout routier et au diesel, nuisible à la santé et aux finances publiques ? Tout cela pour un intérêt dit européen. Nous affichons notre égoïsme régional et l’envie d’une confrontation entre régions françaises. Sans tenir compte de l’intérêt général, ni de celui des habitants.

Au moment de choisir et décider, gageons que la Ministre des transports refera les comptes et constatera que les prévisions de trafic sur lesquelles l’économie du projet est fondée et qui datent de 2005, sont fausses puisque la décision d’introduire un péage a été prise dans l’intervalle et que nul ne peut imaginer que cela n’aura pas d’impact sur les usages des particuliers comme des professionnels.

Cette autoroute A28-A13 a été imaginée il y a des décennies, et écartée, déjà, à l’époque. Elle est totalement inutile aujourd’hui. Juste une source de gros profits pour quelques-uns.