Assemblée plénière Région Normandie – 15 octobre 2018 – Discours de politique générale de François Dufour
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Assemblée plénière Région Normandie – 15 octobre 2018

 

Débat de politique générale

 

Intervention de François DUFOUR, conseiller régional Normandie Écologie – EELV

 

Monsieur le Président, chers collègues,

Cela fait quatre mois que notre assemblée plénière ne s’était pas réunie. Quatre mois qui pourtant se sont égrainés dans une actualité folle en turbulences économiques, sociales et surtout environnementales. L’été fut long, chaud, bouillant dans toutes les régions du monde et l’été se poursuit avec ses anormales poussées de températures de 24 à 25 degrés à la mi-octobre en Normandie !

À l’échelle planétaire, 2018 aura vu toutes les facettes et les turpitudes qu’offre une dépression d’un climat explosif et de moins en moins maîtrisé, ou maitrisable. Faisons un bref retour en arrière sur l’évolution des choix politiques de ces 20 dernières années (20 ans ce n’est que le temps d’un bref instant à l’échelle de l’Humanité).

En 1995, après trois années d’intenses discussions d’experts en politique, validées par 145 chefs d’État, naissait l’Organisation mondiale du commerce dans ce qu’on a appelé « l’Accord de Marrakech ». L’objectif fut donc de relancer et d’accélérer une coopération débridée entre continents avec normalement l’ambition de rendre le monde plus solidaire, plus calme, plus serein, moins inégalitaire, avec l’objectif final de lutter contre la précarité sociale dans les pays en voie de développement, appelés pays émergents. Tous les deux ans, des rencontres ont permis de ratifier, secteur par secteur, les accords commerciaux en abaissant ou supprimant les droits de douane et les barrières tarifaires.

Ainsi, nous avons encore en mémoire les rencontres de Seattle en 1999, le cycle de Doha qui a démarré en 2001, puis les accords de Cancun en 2003 ou de Hong Kong (2005). J’étais moi-même présent dans ces lieux de rencontre et j’ai en mémoire le discours du Président de l’OMC de l’époque Mike Moore : « Nous avons l’ambition par les accords de commerce, de permettre de multiplier par deux les échanges de marchandises entre les continents en deux décennies » pour rendre le monde meilleur (23novembre 2001 au Quatar).

En 2015, le nombre de camions traversant l’Europe avait doublé son parc pour amplifier les accords de commerce, mais aussi bétonner des milliers d’hectares pour construire de nouvelles autoroutes. Si aucun bilan global n’a été fourni dans cette incroyable évolution (bilan économique ou social), l’impact sur le climat et ses conséquences sont hélas non seulement des outils de constat pour les experts du GIEC, mais en même temps, sont entrain de provoquer l’impossibilité de continuer à vivre dans de nombreux pays du globe, entraînant exclusions de masse parmi la population, tout comme l’impossibilité de respirer et de produire l’alimentation  nécessaire à la survie humaine !

2001 – Déclaration de Doha : il faut multiplier par deux les échanges en 20 ans cela fut assumé en 15 ans !

2002 – Sommet de la Terre à Johannesburg en Afrique du Sud : Jacques Chirac prononce un discours volontariste sous l’œil de Nicolas Hulot. J’étais une nouvelle fois présent : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », discours en ouverture de l’assemblée plénière du quatrième Sommet de la Terre, c’était le 2 septembre 2002. Se référant en particulier au changement climatique, la déclaration du Chef de l’État français fait à la fois le constat de la destruction de la nature et la critique de l’indifférence des habitants de la Terre face à cette catastrophe qui pourrait mettre à l’épreuve et en danger l’espèce humaine toute entière ! Jacques Chirac avait aussi dit ceci : « Nous allons, si nous ne faisons rien, assister à un crime de l’humanité contre la vie ! » Mais aussi « sur tous les continents, les signaux sont allumés ». Mais enfin, nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ! J’arrêterai là les citations.

Alors en 2018, 16 ans après, avons-nous pris conscience pour commencer à agir ? Non. L’été 2018 en Normandie comme ailleurs, c’est « cause toujours, on verra plus tard ». S’il y a un « plus tard », il est pour tous ceux qui subissent l’exclusion économique galopante des restructurations, en totale contradiction avec les réponses espérées ou attendues pour refroidir le climat ! »

Lorsque les outils agroalimentaires ferment les uns après les autres pour ensuite transporter à                  des centaines de kilomètres, les animaux ou le lait transformés! Lorsque l’entreprise AIM de Sainte Cécile est obligée de mettre la clé sous la porte car les 250 courageux salariés ont dû galérer pendant trois ans sans qu’aucune banque ne leur fasse confiance pour financer leurs besoins en trésorerie ! Sans qu’une filière du porc « identité normande » avec un cahier des charges permettant de lutter contre le réchauffement climatique ne voit le jour car l’incapacité  d’une organisation de filière a fini par tuer l’outil d’abattage. La Normandie n’a donc plus d’outil à portée de main, et l’on peut doubler à nouveau le nombre de camions sur les routes ! Certes, trois ou quatre millions d’euros c’est énorme remettre à flot une structure économique (c’est un petit peu moins qu’un EPR qui passe de trois à 11 milliards). Cela ne représente quand même que l’équivalent de 266 entreprises comme AIM qui peuvent être reprises à flot pour éviter que l’on transporte des cochons à 400 ou 500 kilomètres afin de les mettre en tranche pour les rapporter ensuite dans les lieux de consommation de Normandie ! Je pourrais ici prendre d’autres exemples avec la Compagnie des fromages et RichesMonts à Coutances et sa fermeture annoncée.

J’entends que l’on peut trouver facilement des budgets pour dépolluer les sites après fermeture. Certes, on nous calme en  nous disant que des emplois ne sont pas satisfaits dans bon  nombre d’entreprises qui recrutent et que les salariés n’ont qu’à se recycler ou se déplacer ! Et nous, élus, ayant délégation de nos concitoyens pour assumer une mission d’intérêt général, que faisons-nous ? Combien de temps allons-nous regarder les camions passer ou la maison brûler sans prendre nos responsabilités ?

En 2018, l’agriculture normande comme celle des autres régions du monde, aura à faire face aux conséquences climatiques et économiques que je lie directement aux effets de la globalisation des échanges cités précédemment ! Et pourtant, les gouvernements continuent de passer des accords commerciaux tous azimuts pensant relancer l’économie ou la croissance. En Normandie comme dans les autres régions, la démographie agricole, c’est chaque année, 3,1% d’actifs en moins, c’est une restructuration sans précédent qui court, qui fait tourner une machine infernale et qui petit à petit nous fait glisser vers des fermes usines, impossibles à transmettre sur le plan économique et qui placent une partie de ces exploitations, de plus en plus dépendantes des apports extérieurs. Je veux parler bien sûr du pilier de l’alimentation des troupeaux laitiers qu’est devenu le maïs, mais surtout le recul des surfaces de prairies, véritables pièges à carbone, véritables réservoirs de protéines azotées et véritables atouts économiques afin de pérenniser l’élevage laitier normand.

54% des prairies ont disparu en 40 années dans notre région. Sans doute les orientations budgétaires de l’Europe ont au fil des ans par le ciblage des aides de la PAC, amenées notre agriculture dans cette fragilité économique, sociale et environnementale.

Si nous nous permettons, nous les écologistes, d’attirer l’attention de notre assemblée sur ce sujet, c’est que face à la réalité de l’augmentation des gaz à effet de serre et face à la financiarisation de l’économie, notre agriculture doit s’adapter aux évolutions futures nécessaires à la survie de l’élevage « y compris dans notre Normandie » qui jadis affichait sur la boîte de Camembert la vache normande dans l’herbe fleurie sous les pommiers en fleurs !

La canicule qui perdure et se répète laisse penser que nous ne serons pas épargnés par la disparition de l’élevage ici comme ailleurs sans doute dans un temps assez court car hélas, c’est la trésorerie asséchée des éleveurs qui précède l’abandon de l’activité. Les faits sont là !

Alors pourquoi insister, Monsieur le Président, sur ce point ? C’est que 2018 et 2019 sont les périodes ouvertes au débat d’une prochaine politique agricole commune qui nous emporte dans une déclinaison 2020 – 2025. Or, tout le monde sait que la Commission européenne et son commissaire à l’agriculture envisagent la réduction d’un budget du 1er pilier de la PAC et que les prémices de la suppression du 2ème pilier n’est pas à exclure. Ainsi, notre FEADER, notre FEDER, n’étant plus abondés, que reste-t-il comme outil politique d’une institution régionale ?

Nous ne pourrons être absents de ce débat pour des raisons d’abord économiques et sociales mais surtout climatiques car la Normandie doit prendre sa place comme les autres dans la réparation climatique et faire face aux risques dramatiques. La Normandie ne peut accepter ce qui pourrait s’appeler « l’irréversibilité ».

Notre chance est celle de tenir dans nos mains le destin commun car nos sols, notre microclimat, notre positionnement géographique nous permettent d’agir ! Monsieur le Président, chers collègues de tous horizons politiques, les écologistes que nous sommes, vous demandons de faire front commun et de porter à Bruxelles, un cahier de doléances pour marteler que l’agriculture standardisée n’est pas celle souhaitable ni souhaitée. Que l’agriculture née de la globalisation ne pourra pas donner les réponses escomptées pour sauver le climat, alors que les citoyens se mobilisent dans tous les secteurs par des rassemblements, des marches, des actions individuelles ou collectives.

Le bel exemple que ne peut ignorer l’Europe, c’est l’engouement des paysans aux crédits du FEADER que nous avions fait valider en 2015 dans le Plan de développement rural, ceci dans les deux ex Normandie. Si cela fonctionne aussi bien, c’est qu’il y a une attente car  une prise de conscience que s’engager pour la biodiversité et dans les diversités était la solution pour un grand nombre d’agriculteurs ! À la fois pour la survie de l’exploitation, mais aussi afin de se rapprocher de la proximité pour la production et la consommation et répondre à l’attente sociétale.

N’attendons pas des décisions politiques nationales qui ne viendront que tardivement (si je pense au glyphosate et son abandon alors que les solutions existent, ou les néonicotinoïdes qui désorientent les indispensables abeilles et fragilisent les apiculteurs ici comme ailleurs) !

Chers collègues, Monsieur le Président, prenez vos responsabilités et nous pourrons vous suivre si la conditionnalité des aides devient la colonne vertébrale pour la transition écologique, garante de la survie du vivant ! Nicolas Hulot n’aura pas jeté l’éponge pour rien ! Espérons !